LIQUIDE(S) : agentivité, usages, représentations et imaginaires du liquide dans l’Art du XXe siècle à nos jours
LIQUIDE(S) : Agentivité, usages, représentations et imaginaires du liquide dans l’Art du XXe siècle à nos jours
Pour le 30/11
Résumé
Le laboratoire HAR (Histoire des Arts et des Représentations, Université de Nanterre) et le LIRA (Laboratoire International de Recherche en Art, Sorbonne Nouvelle) organisent un colloque sur deux journées consécutives les [DATES À DÉTERMINER] pour interroger collectivement la notion de liquide dans le domaine des arts au cours des XXe et XXIe siècles. Il s’agira d’étudier la façon dont le liquide a été ou est impliqué dans l’œuvre d’art, que ce soit pour contribuer à sa réalisation, sa dimension matérielle, formelle ou thématique, ainsi que son impact sur les imaginaires lorsqu’il est employé comme un symbole de la pensée, du social ou du politique.
Cet appel à communication est ouvert aux chercheur·euse·sses dont les réflexions devront relever aussi bien de l’Esthétique que de l’Histoire de l’art, mais aussi aux artistes-auteur·ice·s dont les œuvres mettent en jeu la notion de liquide. Toutes les expressions artistiques dans divers médiums, autant visuels, sonores que littéraires sont les bienvenues.
Argumentaire
En Chimie, trois états de la matière existent : solide, gazeux et liquide. Contrairement à une matière solide dont les composants sont ordonnés, ou à celle gazeuse dont les éléments sont dispersés, la matière liquide a des composants à la fois condensés et désordonnés. Corps déformable, un liquide a comme spécificité de prendre la forme de son contenant.
Du liquide, différentes qualités sont à relever : fluide, visqueux, pâteux, miscible, non-miscible, stable, instable, etc. En outre, cet état de la matière est susceptible de changer : un liquide devient un gaz par vaporisation et un solide par solidification. Il existe ainsi certains états intermédiaires de la matière tels que les « cristaux liquides » qui sont à la fois liquides et solides, si bien qu’ils remettent en question la tripartition des états de la matière.
Si c’est bien l’image de l’eau qui s’impose lorsque l’on s’intéresse au liquide, d’autres composants chimiques ne sont pas à omettre, comme l’éthanol ou le mercure. Les fluides corporels que sont le lait, le sang, le sperme, la sueur, les larmes, la bave etc., constituent autant d’extensions biologiques à la notion de liquide.
En dehors de sa description chimique et physique, les propriétés et les changements de l’état liquide ont été sources d’inspiration pour de nombreux artistes, philosophes et théoricien·ne·s de l’art. Ainsi c’est pourquoi le laboratoire HAR (Histoire des Arts et des Représentations, Université de Nanterre) et le LIRA (Laboratoire International de Recherche en Art, Sorbonne Nouvelle) organisent ce colloque pour questionner la notion de liquide au sein de l’Art, des arts et des œuvres, du XXe siècle à nos jours. Il s’agira d’interroger les différents usages des liquides dans la dimension matérielle, formelle et thématique des œuvres d’art, mais aussi dans leur réalisation, leur conservation et leurs différents impacts sur les imaginaires.
1. Matérialité du liquide
Bien des artistes ont utilisé l’élément liquide pour sa matérialité dans leurs œuvres pendant toute la période contemporaine. On pense par exemple à la méthode du dripping en peinture pratiquée par Jackson Pollock, par la suite parodiée à l’urine par Andy Warhol et son Oxydation painting (1978). Il y a aussi les compositions aqueuses de John Cage qui utilisent l’eau comme partie intégrante de Water Walk (1959), ou alors les performances sanglantes de Gina Pane ainsi que d’autres performeur·euse·s du body art dans les années 70. La matière liquide intéresse les artistes pour ses qualités propres qui permettent de subvertir la figuration, de mettre l’accent sur la matérialité des œuvres, sur leur épaisseur sensible et sensuelle, ainsi que sur celle, à la fois fragile et outrancière des corps, notamment féminins. En explorant les limites de la figuration, les artistes s’aventurent vers les limites de la représentation. Le liquide permet de représenter les interdits du corps, mais aussi paradoxalement de l’abstraire en le réduisant aux liquides qui le composent et l’entourent.
Le liquide fait aussi partie intégrante de la production et de la conservation des œuvres. Jeff Wall dans son texte Photographie et intelligence liquide (1989) explique comment la photographie fige la liquidité et le flux du monde mais aussi comment il fait partie intégrante de la production de l’image photographique par le biais des bains de révélateurs qui la font apparaître. Cette généalogie matérielle liquide de la photographie peut aussi s'appliquer au cinéma, notamment argentique (Michaud, 2014), qui non seulement est matériellement produit par le liquide révélateur (Oscar Muñoz, Ciclope [Cyclope] 2011.) mais qui, par sa capacité à reproduire le flux du réel et sa fascination toute particulière pour l’élément aquatique (Thouvenel, 2010), en fait peut-être le médium liquide par excellence.
Ces différentes utilisations des liquides dans la production artistique questionnent l’agentivité d’une telle matière qui, par ses qualités chimiques spécifiques, autogénère ses mouvements et ses formes. Si les artistes exploitent l’agentivité propre des liquides dans leurs œuvres, on examinera aussi comment ces liquides acquièrent une certaine autonomie créative leur permettant de faire œuvre, d’assurer leur conservation (comme dans l’œuvre Equilibrium de Jeff Koons (1985) et ou chez Damien Hirst, The Physical Impossibility of Death in the Mind of Someone Living, en 1991 présentant un requin plongé dans le formol) ou au contraire de les détruire (comme dans Spiral Jetty de Robert Smithson (1970) par le biais du phénomène d’entropie).
Les qualités matérielles spécifiques des liquides poussent également les philosophes et théoricien·e·s de l’art à concevoir le liquide en tant que concept esthétique qui subverti les catégories de forme et de fond, d’objet et de sujet, d’intérieur et d’extérieur, de corps et d’environnement, de créateur et de création (Fréchuret, 2004, L’école Solnychkine, 2023). Cette mise en tension de dualismes fondateurs de la théorie esthétique nous permettra de constituer collectivement une première histoire liquide des arts.
2. Imaginaires liquides
L’utilisation matérielle du liquide crée des imaginaires qui sont liés soit à des propriétés spécifiques du liquide utilisé, soit à leur valeur sociale, culturelle et symbolique qui est remise en cause ou qui nourrit la création artistique. Ainsi, l’utilisation de fluides corporels dans les œuvres a-t-elle pour objectif, de repousser les limites de la représentation voir de transgresser les interdits sociaux. Mais parfois, il n’est pas nécessaire d’utiliser matériellement les fluides, leur seule suggestion, visuelle ou textuelle, suffit aux œuvres pour se nourrir de leur pouvoir de transgression. On pense par exemple au Corps Lesbien (1973) de l’écrivaine et théoricienne Monique Wittig qui, par l’évocation des fluides corporels, tente de redéfinir le corps désiré et désirant.
Il en est de même pour l’imaginaire marin et sous-marin. La simple évocation de l’océan convoque un imaginaire qui prend sa source dans la littérature depuis l'Antiquité (L'Odyssée, Homère) et qui voit dans l'océan l'endroit où se cachent monstres, créatures étranges ainsi que des découvertes fabuleuses (Corbin, Richard, 2004).
L’eau nourrit ses imaginaires et fait émerger d’autres récits alternatifs des profondeurs, comme celui du duo musical Drexciya qui fonde ses albums sur la construction d’un univers sous-marin, peuplé des descendants d’esclaves noyés dans l’océan Atlantique.
D’autres milieux liquides, naturels ou non, peuvent apporter des imaginaires différents, comme les rivières, les marais, les lacs ou les piscines qui inspirent les artistes pour leurs liquidités alternatives, empreintes du mélange des êtres et des matières. On pense par exemple à l’œuvre virtuelle de Jacob Kudsk Steensen, Berl Berl (2021) qui nous place au cœur des marais entourant la ville de Berlin, soulignant leurs caractères fantastiques et essentiels au maintien de la biodiversité. De ces univers et milieux liquides naissent de nouvelles manières politiques d’envisager cet élément, à la fois décoloniales, féministes et écologiques, notamment quand ces milieux subissent l’extractivisme (Gomez Barris, 2017) et les conséquences de la crise écologique. Les milieux naturels liquides sont des écosystèmes fragiles dont la perturbation provoque très rapidement leur dérèglement, menaçant l’existence humaine par leur disparition mais aussi par la possibilité de la submersion liquide engendrée par la montée des eaux. Ainsi, la création artistique est-elle aussi façonnée par des pensées contemporaines de la liquidité, qui interrogent la force créatrice et destructrice des liquides. C’est le cas de la recherche hydroféministe de Astrida Neimanis (2017) ou de la pensée critique de Zygmunt Bauman sur la « société liquide » (2000) qu’il étudie aussi sous ce prisme les œuvres de Herman Braun Vega ou de Jacques Villeglé.
Axes thématiques
De ces divers exemples et premières pistes de réflexions sur la notion de liquide dans les arts, voici les différents axes sur lesquelles pourront se fonder les interventions :
- Quelles sont les différentes représentations du liquide dans les œuvres (picturales, sculpturales, performatives, cinématographiques, photographiques…) ? ;
- Quels sont les usages et les fonctions du liquide au sein des arts et des œuvres ?
- Comment réalise-t-on une œuvre d’art liquide ?
- Sous quelle forme l’œuvre manifeste-t-elle des propriétés liquides ?
- Comment le liquide participe-t-il à la construction et/ou à la destruction de l’œuvre d’art ?
- Comment expose-t-on et conserve-t-on une œuvre d’art liquide ?
- Comment les liquides deviennent-ils un sujet artistique ?
- Comment certains thèmes ou finalités politiques et philosophiques (écologiques, féministes, décoloniaux) parviennent à être symbolisés ou satisfaites au sein d'œuvres d’art liquides ?
- Quels sont les impacts politiques (écologiques, féministes, décoloniaux) des liquides dans les arts ?
- Existe-t-il une histoire de la notion de liquide dans les arts en lien avec une histoire liquide des idées ?
Modalités de participation
Les propositions en français ou en anglais devront comprendre les modalités suivantes :
- Le titre de la communication ;
- Nom, prénom et coordonnées (adresse électronique) ;
- Une courte biographie (100 mots maximum) ;
- Un résumé de la future communication (500 mots maximum) ;
- Une courte bibliographie.
Celles-ci devront parvenir par e-mail au format .pdf jusqu’au 30 novembre 2024 à l’une des adresses suivantes
- elise.jouhannet@sorbonne-nouvelle.fr
- lagos.davia@parisnanterre.fr
- hbernard@parisnanterre.fr
Comité d’organisation
Élise Jouhannet (LIRA), Davia Lagos (HAR), Hugo Bernard (HAR).
Comité scientifique
Antonio Somaini (LIRA, Sorbonne Nouvelle), Judith Delfiner (HAR, Nanterre), Guillaume Le Gall (Centre André Chastel, Sorbonne Université), Teresa Castro (IRCAV, Sorbonne Nouvelle), Eric Thouvenel (HAR, Nanterre), Bénédicte Meillon (3LAM, Université d’Angers).
Bibliographie indicative
BAUMAN, Zygmunt. Liquid Modernity, Cambridge, Polity Press, 2000.
COHEN, Margaret. The Underwater Eye: How the Movie Camera Opened the Dephts and Unleashed New Realms of Fantasy, Princeton, Princeton University Press, 2022.
COUSINIE Frédéric, Esthétique des fluides : Sang, Sperme, Merde dans la peinture française du XVIIe siècle, éditions du Félin, 2011.
CORBIN, Alain, RICHARD, Hélène (dir.). La Mer terreur et fascination, Paris, Seuil, Bibliothèque Nationale de France, 2004.
FRÉCHURET Maurice, Le mou et ses formes, une nouvelle histoire de la sculpture, Jacqueline Chambon, 2004.
GOMEZ BARRIS, Macarena, The Extractive Zone: Social Ecologies and Decolonial Perspectives, Durham and London, Duke University Press, 2017.
JUE, Melody. Wild Blue Media: Thinking Through Seawater, Durham, London, Duke University Press, 2020.
LECOLE SOLNYCHKINE, Sophie, « Penser liquide. Vers une esthétique écologique », in. Arts et Science, Vol. 4, No spécial, 2020. DOI: 10.21494/ISTE.OP.2020.0456.
LECOLE SOLNYCHKINE, Sophie, Dans la boue des images, Paris, éditions Mimésis, 2023.
LE GALL, Guillaume. Aquariorama : histoire d’un dispositif, Paris, éditions Mimésis, 2022.
MICHAUD, Philippe-Alain. « Aquarium ou le cinéma liquide » in François BOVIER, Adeena MEY (dir.), Cinéma exposé, Lausanne, les Auteurs, 2014, pp. 57-65.
NEIMANIS Astrida, Bodies of Water : Posthuman Feminist Phenomenology, London, New York, Bloomsbury, 2017.
PETERS, Kimberley, STEINBERG, Philip E. « Wet Ontologies, Fluid Spaces: Giving Depth to Volume through Oceanic Thinking », Environment and Planning D: Society and Space, vol. 33, n°2, 2015, pp. 247-264. DOI : https://doi.org/10.1068/d14148p.
RAMOS, Filipa (ed.). FLOWS. Bodies of Water: a Reader, Paris, Presses du réel, 2021.
STAROSIELSKI, Nicole. « Beyond Fluidity: A Cultural History of Cinema Underwater », in. Stephen RUST, Salma MONANI, Sean CUBITT (dir.), Ecocinema: Theory and Practice, New York, Routledge, 2012, pp. 149-168.
THOUVENEL, Eric. Les images de l’eau dans le cinéma français des années 20, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010.
WALL, Jeff. « Photographie et intelligence liquide » in Essais et entretiens. 1984-2001, Paris, École des beaux-arts, 2001, pp. 175-178.
ZYLINSKA, Joanna, “Waterkino and Hydromedia: How to Dissolve the Past to Build a More Viable Future” in. Rodney HARRISON, Colin STERLING, Deterritorializing the Future : Heritage in, of and after the Anthropocene, Open Humanities Press, London, 2020, pp. 220-241.