CfP/CfA Veranstaltungen

Les limites de la pensée

Beginn
03.06.2020
Ende
03.06.2020
Deadline Abstract
17.04.2020

Les limites de la pensée

Journée d’étude, B3 FoReLLIS,

Université de Poitiers, 3 juin 2020

Appel à candidatures

Si la littérature et la pensée entretiennent des liens forts et variés dont la critique a déjà rendu compte sous de nombreux aspects – notamment dans la définition du statut de la fiction et de ses genres, dans le dynamisme retrouvé des études narratologiques ou par les rapprochements avec la philosophie et les sciences –, cette journée d’étude souhaite quant à elle explorer les « limites de la pensée » dans une démarche interdisciplinaire ouverte aux différents arts et médias. Il s’agit de chercher ce qui, dans le travail de la fiction, met en branle l’activité de la pensée : analyser la limite comme cadre, canevas, permettant l’élaboration de la pensée ou ce qui se constitue justement face à elle comme un obstacle, une entrave, ce qui altère son cours, voire ce qui la fait « dérailler ».

La fiction est un réceptacle et un observatoire privilégié de la pensée, en ce qu’elle la met en forme, lui donne une direction ou permet une élaboration a posteriori de la part de son public. De fait, par l’inscription dans une chaîne logique de causalité, de références ou de symboles, la construction narrative d’une œuvre induit la formulation d’une pensée. Elle semble chercher, sans cesse, à signifier ; et si l’étymologie de penser (pendeo « évaluer, soupeser ») partage avec raisonner (reor « calculer », puis ratio « le compte » ou « la proportion ») l’idée de calcul et d’estimation – il s’agit d’apprécier, d’opérer la configuration subjective d’une mesure –, alors la question de la limite lui est intimement attachée, conviée tout à la fois comme seuil et comme horizon régulateur. Ainsi, la limite, comprise dans son caractère restrictif, est pleinement instrumentale puisqu’elle guide l’activité de l’esprit tout en la rendant possible. En effet, elle est ce qui découpe et cerne, permettant l’appréciation des formes et le jeu des définitions et distinctions qui sont à l’origine des concepts : elle est la condition fondatrice d’un ordre mouvant d’intelligibilité et de lisibilité du monde. Cette intelligibilité procède notamment de la dynamique de synthèse qu’elle impose en vertu de son effet de clôture et d’unification, comme l’écrit Bruno Clément à l’ouverture du Récit de la méthode : « la pensée espère l’universel, aspire à l’unité ».

Cette unification ne permet cependant de rendre compte dans la totalité de la pluralité des phénomènes et des détails qui composent le réel, ces derniers pouvant alors être simplifiés, lissés, ou se trouver enfermés dans des réseaux d’abstractions. Cette logique de sélection, de réduction et d’exclusion, propre à la création et à la réception, implique l’établissement constant de nouvelles limites, qui doivent toujours être redéfinies afin d’accueillir au mieux le foisonnement créatif et interprétatif de l’œuvre. Mais comment rendre compte de ces changements ? Et que faire lorsque l’œuvre se dérobe encore à cette unité de la pensée ? Il semble qu’un nombre important de productions artistiques, en échappant aux règles de la logique et en faisant vaciller le sens, dévoile justement cette impossibilité de synthétisation, tout en créant les conditions mêmes de son (in)intelligibilité. Part des anges de la fiction, ce qui se passe derrière les limites de notre compréhension rationnelle contient pourtant une puissance agissante, parfois formulée par l’œuvre mais qui nécessite un nouvel investissement de la part de son auteur.e et de son public, que ce soit par un changement de point de vue – de “stand point” comme l’écrit Bruno Latour (Enquête sur les modes d’existence, 2012) – ou par l’acceptation d’une nécessaire incompréhension.

Les limites peuvent ainsi s’entendre de façon statique, comme ce qui entrave et réduit la puissance de la pensée, mais aussi de façon dynamique, comme ce qui assure son fonctionnement ou le parasite par débordement. La fiction est alors un laboratoire qui participe de manière extensive à l’activité heuristique et à certaines dynamiques émotionnelles ou « effets thymiques » (le suspense, la curiosité et la surprise étudiés par Raphaël Baroni) qui engagent le lecteur de manière totale ; à cet égard, T. Pavel a déjà souligné la tension affective qui peut exister entre le lecteur et des personnages romanesques modélisant des comportements moraux entre idéalisation du comportement humain et censure. Qu’il s’agisse d’intentions ludiques, esthétique, morales, politiques, philosophiques, théologiques ou scientifiques, faire jouer les limites de la pensée, c’est ainsi chercher ce qui joue contre elle, et passant, comprendre ce qui se joue en elle. Comprendre comment elle procède, c’est alors analyser comment la fiction manipule la pensée tout en l’examinant à nouveaux frais. Que ce soit à l’intérieur du récit ou dans le geste même d’écriture, de lecture ou du jeu, dans l’attitude du destinataire face au médium fictionnel, la pensée ne vient jamais seule, mais s’accompagne d’un ensemble d’éléments qui la réduit, la nuance, l’accentue ou la déborde, empêchant ainsi de la constituer comme un objet proprement autonome, flottant, et dont la « puissance » (G. Agamben) serait égale en toute circonstance. Appréhender les limites de la pensée revient ainsi à se confronter à la matérialité de la pensée, à la contextualiser, à considérer son incarnation (G. Lakoff, M. Johnson), qu’il s’agisse de son expérimentation, de sa portée réelle et de ses effets concrets, par opposition à l’image prise dans son abstraction. Hier, la psychanalyse, aujourd’hui les neurosciences, les sciences biologiques et médicales affichent l’ambition d’investiguer la matérialité de la pensée, cherchant dans son étendue l’expression de nos déterminismes ou les traces de ce qui régit le vivant. L’enquête ne concerne plus uniquement la somme de nos cogitations mais la trace combinée de nos stimuli, pulsions, émotions et souvenirs.

Les différentes propositions pourront s’articuler autour des axes suivants :

1. La rationalité poussée dans ses retranchements.
Parmi les thématiques qui pourront être abordées, nous pouvons nous demander ce qu’il se passe lorsqu’une pensée défaille ou qu’elle ne fait plus sens, qu’elle dépasse sa limite, et ainsi analyser comment ces expériences influencent l’interprétation du texte (cf. La conscience de Zeno d’I. Svevo ; Portnoy et son complexe de P. Roth, le discours délirant du Roi Lear de Shakespeare en IV, 5, ou encore le personnage principal de Shutter Island dans l’adaptation de Scorsese). Au croisement des notions d’expérimentation et de transgression, il pourra s’agir ainsi d’observer les conditions de vacillement et de vertige de la pensée : comment la fiction représente-t-elle les états-limites et à quelles fins ? Quelle place pour l’hallucination et le fantasme, pour le songe et le rêve, pour l’association libre et pour tous les états psychiques modifiés et les troubles psychiatriques, etc. ? Est-il possible de transformer un traumatisme en expérience partageable par le langage, et nous est-il possible de le rationaliser sans en perdre la « puissance » ?

2. La pensée au seuil du communicable

Au niveau de la poétique du récit, ces questions interrogent récursivement d’une part les possibilités de travail des genres narratifs et des formes discursives d’accueil, mais aussi d’autre part, le partage des fonctions et des responsabilités inhérentes aux figures du personnage et du narrateur. Quelle vie singulière le roman psychologique offre-t-il à la pensée ? Quelles sont les formes et les exigences du stream of consciousness qui s’offre en interrogeant tout à la fois l’intelligibilité et la lisibilité ? Quid des cas d’endophasie où la parole se fait intérieure, l’énonciation devenant auto-motivée et ne mobilisant plus l’appareil phonatoire ? Plus généralement, nous pouvons questionner les limites heuristiques et techniques de l’exposition des pensées d’un personnage de fiction, souvent exposées de manière originale dans la bande-dessinée, le cinéma et les jeux-vidéos. Quelles sont alors les conditions de cette « transparence intérieure » propre à la fiction dont parlait Dorrit Cohn ?

3. Pensée et limites du connaissable.

La pensée peut aussi s’étudier sur le plan de la création et de la réception : une pensée déployée dans un récit produit-elle des effets à la lecture, par exemple sur le corps comme semble l’indiquer P.-L. Patoine à propos des descriptions présentes dans la littérature choc ? Qu’est-ce que l’immersion face à un film, une bande-dessinée, un film ou un jeu vidéo ? Quelles sont ses moyens et ses limites ? Qu’implique le geste expérimental et créatif qui se dégage d’un ensemble donné d’impératifs et de règles (forme, rationalité, communicabilité) dans son appréhension et de sa compréhension? Peut-il apporter un surcroît de connaissance et si oui, à quelles conditions ? Et comment réconcilier le discours ayant lieu dans l’œuvre et l'engagement militant d'un.e artiste ? La pensée peut-elle avoir un impact politique ?

4. Repenser les règles du jeu.

Si la littérature, les arts de la scène et de l’image ont en commun de proposer des espaces mentaux au sein desquels sont offertes les conditions d’une transgression de la logique et de la rationalité, favoriser ces expérimentations transgressives par le biais de l’imagination revient-t-il à déposséder la pensée d’elle-même ou au contraire en révéler le potentiel et la faire fonctionner à plein ? De nombreuses productions fictionnelles offrent au destinataire l’occasion de s’investir personnellement, pour penser en leur sein : certaines proposent très frontalement de dégager la pensée de ses ornières par le biais même de la construction de la narration (The Stanley Parable de D. Wreden et W. Pugh, ou le très récent AI Dungeon 2 de N. Walton, qui propose un jeu d’aventure textuelle en deep learning), d’autres invitent le lecteur/spectateur/joueur à repenser un système de règles et de contraintes pour redéfinir ses moyens d’action – et souvent sa façon de parcourir l’œuvre : ainsi Marelle de Cortázar, l’œuvre de G. Perec, les jeux Echo (2015), Superhot (2016) ou encore Baba is You (2019). La création fictionnelle peut aussi s’envisager comme un lieu d’expérimentation de l’intime, qui offre l’occasion immersive de repenser une problématique individuelle (S. Genvo, « Lie in My Heart »). Les constructions imaginaires qui exhibent et questionnent le fonctionnement de la pensée sont-elles d’ailleurs nécessairement elles-mêmes marginales et problématiques dans leur approche ou pouvons-nous les penser comme un moyen de « révolte ludique » (A. Demeilliez), c’est-à-dire comme une façon de renverser le rapport de forces et de déplacer le lieu duquel sourdait l’autorité ? Que devient, en ces conditions, le jeu dont les règles se trouvent totalement revisitées par le joueur ou la joueuse ?

*

Modalités :

Cette journée d’étude se voulant interdisciplinaire, nous invitons les participant.e.s à proposer des communications portant sur la littérature, la bande-dessinée, le cinéma, la musique, le jeu-vidéo et autres arts et médias.

La journée d’études se déroulera à la MSHS de l’université de Poitiers sur la journée du mercredi 3 juin 2020.

Les présentations prendront la forme d’une intervention de 20 minutes suivie d’une période de discussion de 10 minutes.

Si vous souhaitez participer, veuillez nous faire parvenir un résumé (1500 caractères, espaces compris) comportant un titre, ainsi qu’une notice bio-bibliographique rapide, au plus tard le 17 avril 2020.

Ces propositions pourront être envoyées à l'adresse : limitesdelapensee@gmail.com.

Organisateurs :

Julien Campagna (julien.campagna@univ-poitiers.fr), Rémi Plaud (remi.plaud@univ-poitiers.fr), Hugo Semilly (hugo.semilly@univ-poitiers.fr)

Quelle der Beschreibung: Information des Anbieters

Forschungsgebiete

Empirische Ästhetik, Literatur und andere Künste, Literatur und Philosophie, Literatur und Medienwissenschaften

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Einrichtungen

Université de Poitiers
Datum der Veröffentlichung: 09.03.2020
Letzte Änderung: 09.03.2020