CfP/CfA Veranstaltungen

Le milieu littéraire au prisme de ses représentations

Beginn
28.05.2020
Ende
29.05.2020
Deadline Abstract
24.01.2020

De la critique acerbe des mutations du marché du livre à la dictature d’une industrie soumise aux prix littéraires et à la fabrique de best-sellers en passant par les conditions de l’écrivain, de nombreux auteurs dressent, dans la presse ou leurs productions, une vision sombre du milieu littéraire contemporain, à l’instar de Mathieu Arsenault au Québec (La Vie littéraire, 2014) ou de David Lodge en Angleterre (La Chance de l’écrivain, 2019). À l’occasion de la sortie de son roman, Une partie de badminton (2019), l’écrivain et scénariste français Olivier Adam dénonce également un milieu littéraire hostile qu’il qualifie ainsi lors d’un entretien radiophonique sur Europe 1 : « C’est un milieu où il y a beaucoup d’entre soi, de collusion et de coups bas […] une manière de se gonfler d’importance chez les écrivains ». D’autre part, le milieu littéraire se voit confronté aux exigences néolibérales des politiques culturelles et, dans de nombreux territoires où il dépend fortement des subventions publiques, les créateurs craignent de voir leur liberté d’expression en danger. Au Luxembourg par exemple, les écrivains et artistes dénoncent de plus en plus les contraintes idéologiques et les impératifs économiques qui soutiennent la campagne de marketing de nation branding lancé par le gouvernement en 2018 (http://www.inspiringluxembourg.public.lu/fr/index.html). Cette campagne impacte fortement la nouvelle politique de subvention dans la mesure où les créateurs doivent désormais mettre en avant l’impact sociétal et la plus-value pour le Luxembourg. Les auteurs s’insurgent non sans véhémence contre cette tentative de transformer les arts par le recours à une idéologie utilitariste (Nico Helminger, Kuerz Chronik vum Menn Malkowitsch sengen Deeg an der Loge, 2017) et se défendent contre la récupération de leurs productions à des fins de promotion.

Ces conditions de la vie littéraire actuelle incitent à repenser la notion de milieu littéraire. Les notions de « champ » et de « monde » sont mobilisées comme des impensés : elles ont été naturalisées depuis leur développement par les sociologues Pierre Bourdieu et Howard S. Becker. Selon ce dernier, le concept de monde de l’art est « un réseau de coopération au sein duquel les mêmes personnes coopèrent de manière régulière et qui relie donc les participants selon un ordre établi. Un monde de l’art est fait de l’activité même de toutes ces personnes qui coopèrent ». Ainsi, il engage à comprendre l’art comme « le produit d’une action collective » dont les acteurs partagent « des présupposés communs, les conventions, qui leur permettent de coordonner ces activités efficacement et sans difficultés » (Becker, 1999). Selon Pierre Bourdieu (1991), « le champ littéraire est un champ de forces agissant sur tous ceux qui y entrent, et de manière différentielle selon la position qu’ils y occupent (soit, pour prendre des points très éloignés, celle d’auteur de pièces à succès ou celle de poète d’avant-garde), en même temps qu’un champ de luttes de concurrence qui tendent à conserver ou à transformer ce champ de forces ». Ces deux concepts renvoient à l’idée de systèmes structurés, pour l’un selon des chaines de coopération maitrisées par les acteurs, pour l’autre selon des positions habitées par des agents. Les cadres épistémologiques marquent particulièrement ces concepts et les enferment dans des rapports de force entre structure et individus. Afin d’échapper à ces positions asymétriques que supposent ces concepts, nous proposons de leur substituer celui de milieu qui, dans sa définition en sciences du vivant, suppose un poids égal des structures, des interactions et des acteurs. Ce faisant, l’idée est de donner une nouvelle impulsion aux débats entre champ, milieu et mondes.

La question de la perception du milieu littéraire se pose également dans d’autres contextes institutionnels. Si l’on part du constat de « l’interdépendance de l’institution scolaire et du système des lettres » (Dubois, 1978), comment le milieu littéraire, dans sa contemporanéité et son rapport historisant avec le milieu scolaire, est-il reçu et perçu par la communauté scolaire des élèves et des enseignants ? L’approche de la littérature proposée dans de nombreux manuels de lycée demeure encore largement essentialiste et souvent restreinte au seul Panthéon littéraire. La littérature occupe toutefois une place spécifique au sein de l’enseignement culturel et artistique : domaine jouissant d’une certaine autonomie, voire autorité par l’héritage culturel qu’on lui associe (Langlade, 2002) et en même temps domaine subsidiaire à l’enseignement de la langue, paradoxalement exclu de l’enseignement artistique à l’école (Fraisse, 2008). Dès lors, la littérature à l’école est souvent extraite du milieu – vivant – où évoluent les acteurs présents de la littérature, aux prises avec les « questions vives » de notre société que l’école se doit pourtant de répercuter.

Au-delà de ces considérations conceptuelles préliminaires, ce colloque se propose d’aborder le sujet des représentations du milieu littéraire à partir de quatre axes.

Axe 1 : approche épistémologique du milieu

Si, dans le domaine de la sociologie de la littérature, la notion de milieu littéraire a laissé place à celle du champ (Viala, 1985, 1988), le terme milieu n’a pas disparu pour autant. Au contraire, d’usage fréquent, il est toujours présent dans les débats autour du monde du livre et dans les titres qui renseignent sur la relation entre l’objet littéraire, l’institution et les acteurs. Ce flou des emplois interroge et le déficit de définition incite à procéder à une actualisation de la notion. Celle-ci doit être faite de deux manières au moins : d’une part, à la lumière de domaines et de discours scientifiques référant à la biologie et à l’écologie, où la notion du milieu est largement discutée ; d’autre part, en bénéficiant d’une comparaison avec les concepts et notions connexes tels le territoire, les mondes, le champ. Il s’agit donc d’interroger le milieu, ses contours et ses frontières et de voir comment les acteurs contribuent à le dessiner.

Axe 2 : le milieu littéraire, une communauté de l’entre-soi ?

Parmi les représentations du milieu littéraire, celle de l’entre-soi a la particularité d’être produite et entretenue à la fois à l’extérieur (dans d’autres milieux) et à l’intérieur (ce qui invite à considérer des milieux littéraires et non un seul). En la matière, la critique du parisianisme se double de celle de la fermeture du marché français à des littératures francophones pourtant fortes d’histoires riches. De la célébration touristique ou scolaire de groupes et compagnonnages littéraires à la critique d’un entre-soi littéraire et éditorial aboutissant à une uniformisation des prix littéraires (Ducas, 2013), nombreuses sont les images qui renvoient le milieu littéraire à un élitisme qu’il convient d’interroger, comme les marginalités qu’il suppose. Comment les notions de « posture » (Meizoz, 2007), de « paratopie » (Maingueneau, 2016) ou de « communautés interprétatives » (Fisch, 1976, 2007) contribuent-elles à l’analyse des dynamiques de ce milieu et des trajectoires singulières ? Par ailleurs, les programmes de littérature, souvent réduits aux seuls canons, reflètent-ils encore l’image d’un système scolaire comme fabrique de reproduction socioculturelle (Lahire, 2004) ?

Axe 3 : le milieu littéraire, une plus-value créative dans les mondes de l’art et dans la société ?

L’auteur propose des récits et imagine des fictions : comme l’artiste, l’écrivain crée des univers. On se demande alors comment on devient un « génie », de quoi est constitué « l’aura » (Benjamin, 1971), pourquoi certains sont touchés par une « vocation » (Heinich, 2008) quand la majorité n’y a pas accès ? On lit alors les œuvres, on parcourt les biographies, on visite les lieux de mémoire pour comprendre comment se fabrique l’écrivain créateur. Une puissance inexpliquée qui fascine et qui, au-delà des mondes de l’art, finit par faire tache d’huile au point que certains analysent l’entrée de notre modernité dans un « paradigme créatif sociétal » (Mœglin, 2019). Une dissémination qui a notamment pour effet une normalisation de l’incertitude et un renouvellement des discours institutionnels, managériaux et organisationnels (Andonova, Kogan, 2019). « Mais qui a créé {c}es créateurs ? » (Bourdieu, 1981), ne sont-ils pas plutôt des travailleurs (Menger, 2003) dont la production est invisibilisée par la mise en valeur des biens symboliques ? Quelle place les ateliers d’écriture créative occupent-ils au sein des pratiques effectives dans l’enseignement de la littérature ? Comment ces pratiques redessinent-elles les relations entre l’école et les acteurs du livre ?

Axe 4 : le milieu littéraire, un contre-pouvoir ou une contre-culture dans l’espace public ?

Si les « antilittéraires » s’acharnent à réduire la littérature à un fait de langage pur dépourvu de toute dimension politique et mettent au débat le rôle social de la littérature, comme l’a montré William Marx (2015) dans son histoire du discours antilittéraire de Platon à Nicolas Sarkozy, les écrivains, quant à eux, voient sa raison d’être dans la capacité « à exprimer les aspirations, les besoins et les idéaux de la société ». La recherche actuelle souligne par ailleurs son aptitude à proposer des visions du monde comme alternative au néolibéralisme (Nussbaum, 2010), voire son pouvoir d’anticipation et sa capacité d’identifier précocement l’éruption potentielle des violences dans les régions en crise (https://www.projekt-cassandra.net/Projet-Cassandra). Mais comment cette position, cette propension de contre-pouvoir et de contre-culture est-elle perçue par l’espace public ? Comment l’école, en tant que moyen de légitimation ou du moins de prescription littéraire, influence la définition du milieu littéraire, au niveau notamment des circuits de production-consommation ?  

Les contributions attendues peuvent explorer l’un ou plusieurs des champs proposés, en privilégiant des considérations théoriques dans une approche réflexive ou une recherche plus empirique à partir d’investigations de terrain passées ou en cours, en France et au Luxembourg, comme à l’étranger. Les approches comparatives et transdisciplinaires sont également les bienvenues.

Quelle der Beschreibung: Information des Anbieters

Forschungsgebiete

Literatur der Benelux-Länder, Französische Literatur
Literatursoziologie, Medienwissenschaften

Ansprechpartner

Einrichtungen

Université du Luxembourg (UDL) / Universität Luxemburg (UL)
Institut de langue et de littératures luxembourgeoises
Professur für Luxemburgische Literatur
Beitrag von: Jeanne Glesener
Datum der Veröffentlichung: 20.12.2019
Letzte Änderung: 20.12.2019