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Formes & pratique poétique du réseau à la Renaissance (1500-1550)

Abstract submission deadline
30.06.2022

Pensée et pratique poétique du réseau à la Renaissance (1500-1550)

Appel à contributions

 

Marquée par la circulation des livres et des hommes, la Renaissance est régulièrement étudiée sous l’angle des influences et par conséquent des réseaux. Par « réseaux », on entend les amitiés, accointances, alliances et protections dont bénéficie le poète ou que ce dernier cherche à acquérir. Considérés autour d’un auteur[1] ou au sein d’un groupe[2], entre deux espaces[3], ou encore entre imprimeurs-libraires[4], ces réseaux sont indispensables à la lecture des œuvres littéraires afin d’en éclairer les enjeux. Dans ce cadre, nombreux sont les travaux féconds menés tant en littérature qu’en histoire, souvent fondés sur des études de cas. À une échelle plus large, la pertinence d’une lecture de la Renaissance sous l’angle des réseaux apparaît dans le projet commun de Warwick University et de Queen Mary’s University, « Rewiring the Renaissance : Cultural Networks and Information Technologie », qui explore les modes de communication et de développement des réseaux (dir. Pr Lisa Jardine et Dr Penny Roberts), ou dans le sujet de la Sixteenth Century Society and Conference de 2016 : « Cultural Networks in the Renaissance : Methodological Challenges ». 

Toutefois, une telle approche se contente généralement de considérer les réseaux comme un medium intellectuel, tâchant de reconstituer d’une manière qui ne peut que rester partiellement hypothétique, le cheminement d’une idée ou la transmission d’une lecture. Souvent, on propose alors une source ou le nom d’un intermédiaire qui aurait transmis tel ouvrage. En outre, si la part des réseaux s’est trouvée au cœur de travaux de détail récents sur la poésie de la Renaissance ou si la notion de réseaux est abordée incidemment, lors de l’étude de notions connexes comme la correspondance[5] ou le don[6], la question mérite toutefois qu’on s’y attarde de manière plus globale et plus centrale : ce qu’on appelle les « Network Studies » ont encore trop peu pénétré la recherche en France pour aborder la littérature ancienne. Le présent projet se propose de déplacer radicalement la notion de réseau et de l’aborder sous un jour nouveau, en l’envisageant comme composante essentielle de la création littéraire de la Renaissance. Il s’agit ainsi d’aborder un point aveugle de nos objets d’études en reconsidérant tout un pan de la littérature et plus particulièrement de la poésie largement laissé dans l’ombre, faute d’outils qui permettraient de saisir un mode de création et de lecture désormais caduc et incompris. Interroger la poétique du réseau remet en lumière des pans entiers de la production poétique mis de côté par des lecteurs et par une critique qui n’en maîtrise plus les codes. Elle permet également de considérer la poésie, et plus largement la littérature, comme une pratique pleinement sociale et de s’affranchir ainsi à la fois d’une approche romantique et d’une lecture structuraliste de la poésie, nécessairement restrictives, potentiellement appauvrissantes. Elle réinscrit par ailleurs la création poétique dans une pratique collective, amenant à repenser la notion d’auctorialité, que ce soit dans les recueils dits d’auteurs ou dans les recueils collectifs[7]. En ce sens, le projet s’inscrit dans la dynamique actuelle qui reconsidère la place de l’auteur dans la création en remettant sur le devant de la scène les pratiques collectives et en repensant la fonction sociale des pratiques littéraires. L’objectif est de forger des outils pour lire ce corpus et poser les bases d’une méthodologie d’analyse des textes littéraires par le réseau. Il importe en effet de mieux cerner comment le réseau agit sur l’écriture, tant du point de vue du dialogue ou de la perméabilité des œuvres et des idées que du point de vue des formes employées. Comment l’imaginaire ou l’élaboration du réseau informent-t-ils l’écriture? Comment en influencent-t-ils les formes mais également les motivations ? Y a-t-il des genres poétiques du réseau et comment les lire ? Comment la figure et la voix d’auteur ou d’autrice se construisent-elle par le réseau ? Que deviennent, même, les notions d’auteur et d’auctorialité lorsqu’elles se trouvent construites dans et par le réseau ?

Aborder les textes par la « fonction réseau » permet de reconsidérer la poésie de la première moitié du XVIe siècle au-delà du seul lyrisme afin de repenser une poéticité dont le temps a contribué à effacer les codes, et de mettre ainsi en lumière l’interaction entre poésie et réseaux, en tant que l’un(e) nourrit l’autre. Le projet nourrit ainsi l’ambition d’offrir des outils permettant de lire des auteurs qualifiés de « mineurs » parce qu’ils ne répondent pas aux canons lyriques auxquels la poésie a pu se trouver superposée a posteriori[8]. Lire la poésie du premier xvie siècle par le prisme d’une « fonction réseau » – sur le modèle de la « fonction auteur » telle que la définit Foucault[9] – permet de véritablement aborder la poésie comme pratique sociale, souvent fondée sur la pratique du don et du contre-don, comme les travaux sur la poésie funèbre (Amaury Flégès), les valentines (Nathalie Koble) ou les étrennes (Mathilde Vidal) l’ont mis en évidence pour un genre ou un sous-genre spécifique. Au-delà de l’échange poétique, la « fonction réseau » permet de reconstituer par exemple les choix génériques compris non pas comme enjeu esthétique mais comme signe de réseau, et de délimiter ainsi une fonction classificatoire de la « fonction réseau ». Une telle enquête permet de penser l’influence du réseau, c’est-à-dire d’un contexte socio-communicationnel sur les formes de l’écriture et de la communication. Elle souhaite également éclairer un objet d’étude nouveau car méconnu et quasiment inaccessible : celui d’une poésie quotidienne éphémère, jetée sur un papier volant, relevant largement de la fonction phatique ou expressive, d’une information pratique ou d’un simple témoignage d’amitié. Par les formes qu’elle emprunte, la poésie, comme cas particulier de communication, dit quelque chose du monde qui la produit et d’une forme d’action sur le monde qu’elle est susceptible de produire, comme en témoignent nos réseaux sociaux modernes, dont il sera judicieux d’interroger les points communs et les différences avec les pratiques du premier XVIe siècle.

Le projet s’articule autour de plusieurs cycles de séminaires dont les premiers sont présentés ci-dessous. À cette occasion, on pourra adopter une vision synthétique ou se concentrer sur un cas particulier. On abordera tant les pratiques du manuscrit que celles de l’imprimé, en néolatin comme en langue vernaculaire. Une attention particulière sera portée sur les pratiques poétiques du premier xvie siècle, en particulier celles réunies sous l’appellation de « Grande Rhétorique ».

Un volume collectif sera publié au terme de ces cycles de séminaires.

Cycle 1 : « Réseaux à l’œuvre des recueils poétiques : livres des amis, livres pour les amis »

Organisation: Élise Rajchenbach (Université Jean-Monnet Saint-Étienne, IHRIM_UMR5327, Institut Universitaire de France). 1er semestre 2022-2023.

Il s’agira d’interroger la façon dont les réseaux participent de la constitution des recueils poétiques, tant du point de vue de leur architecture que de la forme matérielle qu’ils mettent en œuvre, dans le manuscrit comme dans l’imprimé.

On pourra observer notamment :

-       Les modalités d’élaboration d’un recueil au sein d’un groupe

-       Les pratiques collectives de la création

-       Les pratiques d’émulation, notamment dans le cadre de concours (institutionnels ou non), de querelles ou de dialogues poétiques mis en scène

-       La matérialité de cette « fonction réseau » : des objets comme les Libri amicorum et leurs ancêtres ; des pratiques de mise en livre (imprimé ou manuscrit - par exemple BnF ms fr 1667, constitué pour Jacques Thiboust).

-       La publication de « Livres des amis » au sein des recueils ; la publication de pièces d’une autre main au sein du recueil

 

Cycle 2 : « Genres poétiques du don et de l’échange »

Organisation: Nina Mueggler (Université de Fribourg) et Élise Rajchenbach (Université Jean-Monnet Saint-Étienne, IHRIM_UMR5327, Institut Universitaire de France). 2e semestre 2022-2023.

-       Les traces d’une pratique éphémère ou phatique de la poésie

-       L’épithalame, l’épigramme, l’églogue ou d’autres genres poétiques[10]

-       Le Tombeau poétique

-       La « Responce »

-       Les pièces d’escorte, la pratique des paratextes (qui ? quelle dispositio ? quels échos ? créent-ils des recueils en réseaux, par les paratextes ?)

Certains genres poétiques ont fait l’objet d’études, parfois récentes (ex : valentines, étrennes, épître familière…) : on pourra s’appuyer sur ces études pour les reconsidérer sous l’angle d’une « fonction réseau ».

 

Propositions à envoyer avant le 30 juin 2022 à Élise Rajchenbach (Université Jean-Monnet Saint-Étienne, IHRIM_UMR5327, Institut Universitaire de France): elise.rajchenbach@univ-st-etienne.fr

 

[1] Voir par le collectif sur les réseaux de Marguerite de Navarre Le Réseau de Marguerite de Navarre, éd. A. Boutet, L. Daubigny, S. Geonget, M.-B. Le Hir, Genève, Droz, 2022.

[2] Par exemple, Isabelle Garnier, L’Épithète et la connivence : écriture concertée chez les Évangéliques français (1523-1534), Genève, Droz, 2005 ou Florence Bonifay, Concurrences poétiques : identités collectives et identités singulières autour de la “Pléiade” (1549-1586), thèse de doctorat sous la direction de M. Clément, soutenue le 2 décembre 2016 (Université de Lyon 2 - Lumière).

[3] Passer les monts, Français en Italie – l’Italie en France (1494-1525), éd. J. Balsamo, Paris, Champion, 1998 ou Elsa Elsa, Jean de Vauzelles dans le creuset lyonnais. Un humaniste catholique au service de Marguerite de Navarre (1520-1550), Genève, Droz, 2013.

[4] Par exemple Le Savoir italien sous les presses lyonnaises à la Renaissance, éd. S. D’Amico et S. Longo Gambino, Genève, Droz, 2017.

[5] Pauline Dorio, « La Plume en l’absence » Le devenir familier de l’épître en vers dans les recueils imprimés de poésie (1527-1555), Genève, Droz, 2020.

[6] Voir Natalie Zemon-Davis, The Gift in Sixteenth-Century France, University of Wisconsin Press, 2000; Nathalie Koble, Drôles de Valentines. La tradition poétique de la Saint-Valentin : anthologie bilingue (XIVe-XXIe siècle), Genève, Héros limite, 2016, le dossier « Étrennes, dons et cadeaux », dir. C. Magnien-Simonin, Seizième Siècle 13, 2017, ou encore Mathilde Vidal, Bon jour, bon an et bonne étrenne. Poétique de l’étrenne en vers de Marot à Scarron, thèse de doctorat sous la direction de J. Vignes soutenue le 25 septembre 2019, Université Paris 7.

[7] Voir par exemple Nina Mueggler, « Configurer des réseaux par le recueil : le cas du Parnasse des Poëtes François modernes de Corrozet (1571) », in « Le Bel épy qui foisonne » : Collection and Translation in French Print Networks 1476-1576, éd. Catherine Emerson, Oxford, Peter Lang, 2018, et surtout Autour de Marot et des recueils collectifs. Configuration du champ poétique français, dossier réuni par N. Dauvois et J. Goeury, Cahiers de recherches médiévales et humanistes, à paraître en décembre 2020.

[8] Sophie Astier, « Minores et jugements littéraires », carnet Canards et vers de sagouin. Genres et auteurs « mineurs » à la Renaissance », https://minores.hypotheses.org/ (billet publié le 12 décembre 2021, consulté le 9 mars 2022).

[9] Michel Foucault, « Qu’est-ce qu’un auteur ? », Bulletin de la société française de philosophie, no 3, juillet-septembre 1969.

[10] Le cas du genre du « Dieu gard » sera abordé lors de la journée d’études organisée par Nina Mueggler et Jérémie Bichüe à l’automne 2022.

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Fields of research

Poetics, Literary genre, Themes, motifs, thematology, Literature of the 16th century

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ISSN: 2609-6048

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Université Jean Monnet Saint-Etienne
Date of publication: 25.04.2022
Last edited: 25.04.2022