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Des œuvres barbares et délicates : autour d’une contre-esthétique de la laideur (Post-Scriptum, n°29)

Abstract submission deadline
15.01.2020
Paper submission deadline
30.05.2020

« Des œuvres barbares et délicates : autour d’une contre-esthétique de la laideur»

revue Post-Scriptum, no 29

sous la direction de Léonore Brassard (à paraître en novembre 2020)

https://post-scriptum.org/actualites/appel-de-textes-des-oeuvres-barbares-et-delicates/

*English follows* 

«Le laid doit constituer ou pouvoir constituer un moment de l’art » -Theodor Adorno

« On éprouve de la répugnance et du dégoût pour ce qu’au fond on désire approcher et de là provient l’irrésistible attirance “morbide” traduite souvent par la curiosité incompréhensible de ce qui nous apparaît comme répugnant » - Salvador Dali

« J’ai fait une œuvre barbare et délicate » - Hervé Guibert

Laideur, terreurs, dégoûts, ratages, difformités, évocation de la mort ou du manque : ce numéro de Post-Scriptum propose de se pencher sur différentes formes de la laideur, dans sa valorisation ou dévalorisation esthétique, dans son autonomie ou sa dépendance au beau : laideur en soi, laideur en tant qu’elle est représentée (« bellement » ou « laidement »), ou revendications politiques ou artistiques qu’elle peut contenir. L’art est-il essentiellement beau, ou permet-il justement l’ouverture d’un jeu avec la laideur? Peut-on penser, comme l’affirme Rodin, que si « nous qualifions de laid ce qui est sans forme, malsain, […] ce qui est immoral, vicieux […] le grand artiste s’empare de cette laideur; immédiatement il la transfigure — d’un coup de sa baguette magique, il la transforme en beauté », dans un écho à La Poétique d’Aristote? Longtemps, le beau a été associé à l’idée même de l’esthétique. Si dans la pensée platonicienne, le beau concorde avec le bien et le vrai, le laid semble avoir été mis de côté, ne serait-ce que d’avoir été tenu, conformément à la tradition classique, comme une forme d’abord de non-être, de non-esthétique. Ainsi Plotin, lorsqu’il conjoint le beau et l’intelligible dans son traité Du Beau, affirme que « la Beauté est une réalité vraie, et la laideur, une nature différente de cette réalité ». Quelle est cette nature différente que propose l’idée de la laideur? Peut-on penser le laid autrement que dans son opposition, sa différence d’avec le beau? Le laid est-il en symétrie avec le beau, permet-il de le dépasser? Le laid tend souvent à être compris en tant que négation du beau; c’est d’ailleurs ce que met de l’avant L’Esthétique du Laid (1853) de Karl Rosenkranz, l’un des premiers ouvrages consacré spécifiquement au déploiement des diverses formes de la laideur. « Dans la pensée des modernes, le grotesque a un rôle immense... Le beau n’a qu’un type, le laid en a mille » (Victor Hugo). Un mouvement vers la laideur (en tant qu’elle déroge aux règles du beau, quelles qu’elles soient), va-t-il main dans la main avec l’assomption de l’originalité des modernes par rapport aux règles classiques? Il est vrai que différents mouvements artistiques, principalement issus de la modernité, se réclament de formes variées de la laideur : les auteurs réalistes, notamment, tiennent à représenter fidèlement toutes les couches sociales, surtout là où elles semblent moins « propres ». Vers la fin du XIXᵉ siècle, Baudelaire compare sa compagne à Une Charogne; Rimbaud, dans sa Vénus Anadyomène, enlaidit la déesse; et Verlaine, reprenant l’Art Poétique, revendique la dissymétrie du vers. « Rien ne ressemble à la médiocrité que la perfection » (Paulhan) : la modernité artistique regorge de laideurs, que ce soit dans la forme représentée ou dans la forme en tant qu’elle est, elle-même, une représentation « laide ». On peut notamment penser aux toiles de Goya, aux portraits de Bacon, aux visages éclatés que suggèrent les toiles de Picasso, au Jeu Lugubre de Salvador Dali, qui met en avant-plan un homme dont le pantalon est taché de ses excréments. Cette mise en avant du laid, du difforme, du terrifiant avait déjà une part belle chez les Grecs — qui ne pensaient pas que le beau —, lorsque de Charybde en Scylla, les mythes nous font passer par les descriptions sanglantes des batailles homériques, par le crime de Médée, et ceux d’Œdipe, par la tête sifflante de la laide Méduse, pétrifiante, étrangement inquiétante. Qu’est-ce qui nous pousse à regarder avec fascination ce qui par ailleurs nous dégoûte, nous terrifie? Si le beau tient d’une appréciation détachée du sujet (le Beau est un plaisir désintéressé dans le système kantien), le laid, quant à lui — dans ses variantes de l’immonde, du dégoûtant, du visqueux, du répugnant — renvoie presque toujours à une forme de la subjectivité, à l’émotion négative qu’il suscite directement. Et en cela, le laid peut se penser dans sa différence radicale avec le beau, et non plus comme simplement son contraire. Enfin, la laideur est fortement associée aux limites et aux irrégularités du corps humain : Quasimodo, monstre de Frankenstein, la Bête avec sa Belle… Le corps enlaidi peut toutefois devenir en soi un objet de fascination, et certains artistes poussent les frontières du jeu entre Beauté et Laideur : ainsi ORLAN, à travers des chirurgies esthétiques faites sous forme de performance, s’éloigne de l’idéal plastique du beau féminin pour travailler le corps ailleurs; et Houellebecq à son tour joue son personnage d’auteur autour de l’enlaidissement. Et quand dans King Kong Théorie, Despentes ouvre son manifeste en spécifiant qu’elle écrit « de chez les moches, pour les moches », elle met de l’avant la possibilité qu’a la laideur de devenir une véritable revendication politique. Que penser alors du corps en tant que laid, joué comme tel, revendiqué en soi, ou déjoué de sa laideur?

Les propositions d’articles peuvent porter sur les thèmes suivants (sans avoir à s’y limite

  •  La laideur comme finalité ou comme moyen artistique, littéraire : déformation, dissonances, représentations faussées, déplaisantes (Goya, Bacon, Picasso, etc.). 
  • Le détournement des codes classiques, l’irrespect des règles et des codes esthétiques.
  •  La reprise du canon littéraire pour le déformer, « l’enlaidir » (ex. : La Vénus Anadyomène de Rimbaud, l’Art Poétique de Verlaine, Don Quichotte de Acker).
  •  Les personnages laids, les monstres, les figures terrifiantes, répugnantes, etc. 
  • La laideur ou l’enlaidissement des artistes et écrivains en tant que figures, par exemple : la laideur de Socrate, les chirurgies esthétiques de ORLAN, etc.
  •  Le dégoûtant, le visqueux, l’excrémentiel; la fascination possible qu’ils engendrent.
  •  La laideur au féminin : revendication politique du « beau sexe »?
  •  La laideur queer : penser le beau hors des cadres classiques du corps genré.
  •  Représenter le laid pour représenter le réel.
  •  Laideur et jugement
  •  L’œil colonial distribue des valeurs de beauté et de laideur, (dé)figurant les Autres au gré de ses regards : quelles résistances les littératures coloniales et postcoloniales donnent-elles à voir?

Les personnes intéressées à soumettre un texte pour ce numéro de la revue de recherche interdisciplinaire en textes et médias Post-Scriptum sont priées d’envoyer une proposition d’article (300 mots), ainsi qu’une courte notice biobibliographique (200 mots) à l’adresse suivante : redaction@post-scriptum.org au plus tard le 15 janvier 2020. Les articles complets seront quant à eux, à rendre pour le 30 mai 2020. Nous invitons également les autrices et les auteurs à proposer des comptes rendus critiques liés à la thématique du numéro.

______ ENGLISH

 “Barbarous and Delicate Works: Towards an Anti-Aesthetic of Ugliness”, Post-Scriptum, issue no 29, directed by Léonore Brassard (to be published in November 2020)

Ugliness, dread, disgust, failure, deformities, evocations of death and of lack: the upcoming issue of Post-scriptum will address the different forms of ugliness—its aesthetic valorization or depreciation, its conceptual autonomy or dependency upon beauty, reflections onto ugliness itself, ugliness in representation, or the political and aesthetic claims which ugliness may contain. Must we consider art as essentially linked with beauty, or does it allow for various transgressions of rigid conceptions of beauty and ugliness? May we say, as Rodin put it, while echoing Aristotle’s Poetics, that “if we qualify as ugly the shapeless or unwholesome [. . .] the immoral and vicious [. . .] the great artist will seize that ugliness, and transfigure it: by a stroke of its magical wand, it transforms it into Beauty”? Beauty has long been associated with the very idea of aesthetics, and when Plato associates beauty with good and truth, it seems as though ugliness is excluded from the classical tradition, and is seen as a type of non-existent and non-aesthetic entity. In his treaty entitled “On Beauty”, Plotinus claims that beauty is a true reality, and that ugliness, for its part, is a “reality of a different nature”. What can be said about the “different nature” suggested by the idea of ugliness? Is ugliness only intelligible as opposed to beauty, or may it be thought of beyond this opposition? Is ugliness nothing but the negation of beauty, as Karl Rosenkranz suggests in Aesthetics of Ugliness (1853), one of the first works to specifically consider the different shapes and forms of the ugly? “In the thought of modern men, the grotesque plays an enormous part. [. . .] Whereas the beautiful has but one type, the ugly has a thousand” (Hugo, 1827). Has there been a shift towards ugliness and the grotesque following the rise of new aesthetic criteria in the modern period, which has valued originality rather than the following of classical rules? Various artists could then claim to be linked with some form of ugliness, such as realistic writers, who aim to offer a faithful representation of all social classes, even the “filthy” ones, without trying to “clean” them through representation. Around the end of the 19th century, Baudelaire compares his partner to carrion in his famous poem from the Fleurs du Mal; Rimbaud, in Venus Anadyomène, prostitutes the goddess; and Verlaine, in his rewriting of Horace’s Ars Poetica, supports the use of the highly “unclassical” unsymmetrical verse. Artistic modernity is indeed filled with ugliness, both in form and content. One may think, among others, of Goya’s paintings and Bacon’s portraits, as well as the distorted faces and figures represented by Picasso, and Dali’s Jeu Lugubre, in which a man, wearing pants sullied by excrement, sits in the forefront of the painting. Yet the modern period is not the exclusive proponent of representing the ugly, disgusting, and terrifying subjects: such representations were very much a part of ancient Greek art. From Charybdis to Scylla, ancient myths tended to present horrifying figures that continue to haunt us to this day: graphic descriptions of the bloodiest Homeric battles, the distasteful crimes of Medea or Oedipus, the whistling, petrifying, uncanny head of Medusa. What is it exactly about ugliness that keeps us wanting more? Why must we always take that one last fascinated look towards things that are dreadful and disgusting? If beauty can be objectively defined (as a disinterested pleasure, a free play, in the terms of Kantian philosophy), ugliness, for its part, in all its variations of filth and viscosity, seems to send us back to the realm of subjectivity. According to such scheme of thought, ugliness may be considered as a concept altogether different from beauty—as opposed to the simple absence of beauty. Lastly, let us not forget how ugliness is linked to the irregularities of the human body: Quasimodo, Frankenstein’s monster, the Beast from Beauty and the Beast. . . However, the hideous body can become in itself an object of fascination, and multiple artists have worked around the frontiers segregating human beauty from human ugliness. ORLAN, for example, through the performance of cosmetic surgery, furthers herself evermore from traditional standards of beauty. Houellebecq, for his part, seems to build his writer’s persona around the idea of the appalling. And in King Kong Theory, Despentes opens her Manifesto by specifying that she is writing “for the bums, from the bums”. Is she not here insisting on the political implications of ugliness? In short, how may we rethink the different forms of bodily ugliness?

We welcome proposals that focus on (but not limited to) the following themes:

  •  Ugliness as a finality or as a means in the artistic and literary spheres: deformation, dissonance, falsified representations (Goya, Bacon, Picasso, etc.)
  •  The hijacking of classical values, the disrespect of rules or aesthetic codes and narratives.
  • The appropriation of the classical canon to distort it (for example Venus Anadyomène by Rimbaud, Art Poétique, by Verlaine, Don Quixotte, which was a dream, by Acker).
  •  Ugly characters, or ugliness of the writer/artist as a figure (for example: the historical ugliness of Socrates, ORLAN’s surgeries, etc.)
  •  Fascination for the disgusting, the viscous, the filthy, and for excrement 
  •  Feminine ugliness: what could be the political claims around a distortion of the “Beautiful Sex”
  •  Queer “Ugliness”: what can be thought of beauty outside the classical rules of the gendered bodies?
  •  Representation of ugliness as a way of capturing reality.
  •  Judgments and suspicion surrounding ugliness
  • Colonialism and beauty: when the colonial gaze distributes the values of beauty and ugliness; (de)figuring the Other to match one’s own image; what possibilities of resistance are offered by colonial and post-colonial literature?

Those interested in submitting a text for this Post-Scriptum’s issue journal of interdisciplinary research in text and media, are asked to send a paper proposal (300 words), as well as a short biobibliographic notice (200 words) to the following address: redaction@post-scriptum.org by January 15, 2020. The complete articles will be due by May 30, 2020. We also invite authors to submit reviews related to the topic of this issue.

Source of description: Information from the provider

Fields of research

Gender Studies/Queer Studies, Postcolonial studies, Aesthetics
Hässlichkeit

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Date of publication: 08.11.2019
Last edited: 08.11.2019