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Valeurs du romantisme noir (revue Otrante)

Deadline Abstract
31.07.2020
Deadline Beitrag
31.12.2020

Appel à contributions

Valeurs du romantisme noir

Numéro de la revue Otrante à paraître en 2021, sous la direction d’Émilie Pézard

En 1821, Charles Nodier proposait pour la première fois l’étiquette « genre frénétique » pour désigner la face sombre du romantisme, sa part d’horreur et d’excès. À l’occasion du bicentenaire de cette invention, la revue Otrante consacre un numéro à la question qui fut au cœur de la réception du romantisme noir : la morale.

Dans les articles de Charles Nodier, la frénésie n’est en effet décrite que pour mieux être condamnée : l’analyse que donne Nodier de Han d’Islande de Victor Hugo, du Petit Pierre de Spiess et des œuvres de Maturin (Bertram, Melmoth) s’inscrit dans une argumentation plus large, visant à défendre un romantisme que ses détracteurs auraient tort de réduire à cette mauvaise veine noire. De fait, les critiques n’auront de cesse de fustiger l’immoralité du romantisme noir, jusqu’à ce qu’au XXe siècle, le jugement s’inverse, avec l’éloge, par les surréalistes puis la critique universitaire (J.-L. Steinmetz), de la portée subversive de ces œuvres.

Ces deux positions apparemment opposées adoptent en réalité, de façon symétrique, la même approche : l’étude des valeurs à l’œuvre dans ces récits ne va pas sans un jugement, éthique ou esthétique, sur la valeur de ces valeurs, duquel on infère une troisième valeur, celle de l’œuvre elle-même. Cet asservissement de l’étude morale au jugement du critique, qui fait aboutir l’analyse à la distribution de bons ou de mauvais points, explique peut-être la défiance qu’a pu susciter, et que suscite parfois encore, la simple association des termes littérature et morale. La question des valeurs mérite pourtant d’être analysée en elle-même dans ces œuvres qui structurent leurs intrigues autour du conflit entre le bien et le mal. Ce numéro d’Otrante vise ainsi à adopter une approche dépassionnée des morales du romantisme noir.

Morales : le pluriel s’impose, en effet, d’abord en raison de l’extension du corpus étudié. Le romantisme noir, tel qu’on l’entend ici, recouvre les textes romanesques et dramatiques du XIXe siècle marqués par la violence et par l’excès, que ceux-ci s’inscrivent dans le modèle traditionnel du roman noir ou dans sa forme renouvelée par le roman de mœurs, que la violence prenne la forme de la terreur ou de l’horreur, qu’elle puise sa source dans le surnaturel ou qu’elle trouve son modèle dans la réalité historique (guerres, Révolution, exécutions capitales).

Sous cette appellation, nous proposons ainsi de regrouper les auteurs de romans noirs des premières années du XIXe siècle (Mme de Genlis, Ducray-Duminil…), les « petits romantiques » des années 1830 (Lassailly, Borel…), mais aussi les « grands » romantiques ayant ponctuellement exploité l’esthétique du mystère et du macabre (Hugo, Balzac, Sand, Dumas…), les romantiques « frénétiques » plus célèbres en leur temps qu’aujourd’hui (Jules Janin, Eugène Sue, Frédéric Soulié), ainsi que les héritiers de cette veine dans la seconde moitié du siècle (Barbey d’Aurevilly, Lautréamont, Ponson du Terrail, Féval…).

Ce vaste corpus, s’il trouve son unité dans l’axiologie très nettement marquée des personnages mis en scène, se caractérise par une hétérogénéité constitutive. L’objectif du numéro est de voir dans quelle mesure l’identification des valeurs à l’œuvre dans le texte peut constituer un outil pour cartographier le romantisme noir : les variations morales dessinent-elles une évolution historique ? Montrent-elles au contraire la coexistence de tendances contradictoires ? Permettent-elles d’identifier des sous-groupes parmi les auteurs, des tendances concurrentes dans la pratique du genre ? Sont-elles corrélées à des tendances esthétiques particulières (gothique conservateur versus frénésie révolutionnaire) ?

Pour répondre à ces questions, les articles du dossier pourront proposer une étude, monographique ou transversale, de la poétique des valeurs du romantisme noir.

On pourra d’abord s’interroger sur la signification morale de l’œuvre, en articulant études de l’histoire et de la narration. Comment le bien et le mal sont-ils définis dans l’intrigue ? Quelle idéologie sous-tend ces définitions ? Quelles valeurs les personnages incarnent-ils ? Quels jugements le narrateur porte-t-il sur ceux-ci ? Dans quelle mesure le dénouement, que celui-ci consacre la victoire du criminel ou au contraire le triomphe de la vertu, conditionne-t-il la morale du récit ? Quelles formes narratives (persécution, vengeance…) le conflit entre bien et mal peut-il prendre ?

Si les romans noirs, comme on le leur a parfois reproché, se caractérisent par leur manichéisme, il reste à voir quelle forme peut prendre celui-ci. Jean-Marie Schaeffer a déjà noté que le « romanesque noir » inverse l’axiologie du « romanesque blanc »[1] en transformant les valeurs de celui-ci en « anti-valeurs », selon la terminologie de Nathalie Heinich[2]. Les romans valorisant la vertu et l’innocence de l’héroïne s’opposent ainsi aux récits sadiens faisant goûter au lecteur les délices vertigineuses de la cruauté. Ces deux descriptions suffisent-elles à rendre compte du corpus ? Jean-Marie Schaeffer évoque également « le romanesque heureux » et le « romanesque malheureux », en fonction de la valeur du dénouement : comment cette distinction se combine-t-elle avec la précédente ? Quels rapports les modèles « noir » et « blanc » entretiennent-ils l’un avec l’autre ? Sont-ils pratiqués par les mêmes auteurs, lus par les mêmes lecteurs ?

Nombre d’œuvres ne se réduisent d’ailleurs ni à l’un, ni à l’autre de ces modèles et sont marquées, à rebours de ce manichéisme supposé, par une ambivalence foncière. Charles Nodier lui-même la souligne, quand il fait l’éloge de l’« idée profondément morale » qui fonde l’argument de Melmoth de Maturin, tout en regrettant qu’« on y voi[e] percer partout je ne sais quelle ironie sanglante, quelle satisfaction infernale » et que l’auteur, « gagné par l’exemple de son effroyable héros, semble ambitionner les conquête de l’esprit tentateur ». Quelles formes prennent cette ambivalence ? Dans ces hésitations morales, l’ironie joue un rôle crucial. Quel jeu instaure-t-elle dans le système axiologique de l’œuvre ? Les valeurs sont-elles l’objet d’une inversion, d’une subversion, ou d’une dissolution ?

L’approche poétique gagnera enfin à être combinée avec une étude du contexte de l’œuvre. On pourra s’interroger sur le rapport entre la morale du récit et celle de son époque, en amont (création) comme en aval (réception). Y a-t-il consonance ou dissonance entre les valeurs de l’œuvre et celles des contemporains ? Le contexte littéraire peut également éclairer l’étude morale. La reprise d’un modèle littéraire implique-t-elle une continuité axiologique ? Qu’advient-il de la morale en régime parodique ?

*

Les propositions d’articles, accompagnées d’une brève notice bio-bibliograpique, sont à envoyer à Émilie Pézard (emilie.pezard@univ-poitiers.fr) avant le 31 juillet 2020. La remise des articles, d’une longueur de 30 000 signes, est prévue pour le 31 décembre 2020. Le numéro d’Otrante paraîtra en 2021.

   

[1] Jean-Marie Schaeffer, « La catégorie du romanesque », in LeRomanesque, dir. G. Declercq et M. Murat, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2004, p. 298-299.

[2] Nathalie Heinich, Des valeurs. Une approche sociologique, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque des sciences humaines, 2017, p. 215.

Quelle der Beschreibung: Information des Anbieters

Forschungsgebiete

Literatur und Kulturwissenschaften/Cultural Studies, Literatur des 18. Jahrhunderts
Schwarzen Romantik ; Werte

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Datum der Veröffentlichung: 22.06.2020
Letzte Änderung: 22.06.2020