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Image - Poème en prose - Image. Ce que le poème en prose doit à l’image, et inversement (XIXe-XXIe)

Beginn
13.10.2022
Ende
14.10.2022
Deadline Abstract
30.05.2022

Image - Poème en prose - Image
Ce que le poème en prose doit à l’image, et inversement (XIX-XXIe)

Appel à communication pour la journée d’études des 13 octobre et 14 octobre 2022
Centre de Recherche sur les Poétiques du XIXe siècle (CRP19), Université Sorbonne Nouvelle
 


"Il ne s’agit donc plus du tout des peintres qui peignent dans leur peinture le poème d’un poète ou d’eux-mêmes ; il ne s’agit plus du tout des poètes qui, inspirés par une peinture, écrivent un poème sur le papier, hors de cette peinture ; il ne s’agit plus du tout de peintres imitant plus ou moins vaguement l’écriture, ou la calligraphie, ou la typographie ; et il ne s’agit plus du tout de l’illustration, procédé de division." Christian Dotremont


Argumentaire 
Cette journée d'études entend interroger sur nouveaux frais les rapports qu'entretiennent la pratique du poème en prose moderne et les arts de l'image (peinture, gravure, dessin, photographie, sculpture, performance, installation) dans une perspective transdisciplinaire et intersémiotique qui souhaiterait réunir par un dialogue fécond chercheurs en littérature et historiens de l'art. 

Depuis son émergence au milieu du XIXe siècle, le poème en prose n’a cessé de se constituer dans une relation privilégiée – et continuellement redéfinie – aux arts de l’image. Déjà Aloysius Bertrand sous-titrait Gaspard de la nuit (1842) « Fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot », tandis que Baudelaire, dans sa lettre-dédicace à Arsène Houssaye qui introduit la première série des Petits poèmes en prose dans La Presse en août 1862, définissait son entreprise poétique comme une « peinture de la vie moderne ». À la suite de ces recueils fondateurs, Rimbaud a porté la poésie en prose vers une poétique de l’éclat visuel et des colored ou painted-plates (sous-titre envisagé pour les Illuminations selon Verlaine) et Huysmans a intitulé son second recueil de poèmes en prose Croquis parisiens (1881), affichant d’emblée son ascendance picturale. Cet héritage se perpétue tout au long du XXe siècle et en ce début du XXIe siècle, depuis les reconfigurations du poème en prose par Reverdy (La Lucarne ovale, 1916) et Jacob (Le Cornet à dés, 1917), dans un dialogue constant avec le cubisme alors en pleine essor, jusqu’aux Glacis en prose de Guillaume Artous-Bouvet (2021), pour ne citer que quelques exemples.

La référence aux arts visuels, qui traverse l’histoire du poème en prose, n’est ni une simple métaphore ni l’indice d’une poésie réduite à l’exercice de l’ekphrasis ou de la transposition d’art. Comme l’a montré Bertrand Bourgeois dans son récent essai Petits poèmes à voir (2020), la relation du poème en prose à l’image détermine une véritable « poétique visuelle » qui offre au dire poétique la possibilité d’expérimenter sa plasticité, dans les deux sens du terme. L’intégration de la « technique de la peinture[1] » et de manière plus générale des codes visuels des arts de l’image (les jeux avec la perspective, la technique du collage, le motif du clair-obscur, entre autres) au dispositif sémiotique et verbal du poème en prose contribue à la malléabilité d’un genre marqué par une diversité d’usages hétérogènes, mais aussi et surtout à sa visualité, voire à sa visibilité (le travail sur le blanc, par exemple, ou l’invention des « Carrés » par Reverdy), indépendamment de toute référence extérieure. Autrement dit, il ne s’agit pas « de faire comme la peinture, mais bien de faire de la peinture avec du texte et faire du poème un tableau autonome[2] », selon une pratique nouvelle de la poésie qui bénéficie autant qu’elle participe du renversement paradigmatique de l’ut pictura poesis.

C’est dans le cadre de ce renversement paradigmatique, mis au jour par les travaux de Bernard Vouilloux, qu’il convient en effet d’interroger la relation texte-image dans l’élaboration poétique du poème en prose. Si de l’un à l’autre il y a bien un « rapport d’homologie[3] » qui défait la logique hiérarchique d’imitation entre la peinture et sa répétition verbale, celui-ci se libère aussi de toute unilatéralité contraignant la création dans un mouvement allant uniquement de l’image au poème. Les exemples de collaborations entre poètes et artistes plasticiens, ou de recueils de poèmes en prose préfigurant leur illustration (comme c’est déjà le cas, rappelons-le, de Gaspard de la nuit), invitent à penser la constitution d’une poétique visuelle au-delà du seul procédé de réappropriation des codes de l’image, comme un dialogue dans lequel poétique et esthétique, poème en prose et image, éprouvent à la fois leur autonomie et leur hétéronomie.

L’appréhension d’un tel dialogue implique par conséquent qu’on s’intéresse à sa réciproque. Désormais face à une poésie qui (se) donne à voir, que peut encore l’image – entendue comme représentation visuelle ? Quels sont les passages et les liens, les points de jonction et de friction qu’elle doit au texte et cherche à établir en rapport avec une poésie qui s'est elle-même faite image ? Une telle reconfiguration de la prose enjoint-elle l’image à se repenser ? Contraint-elle l’image, ou lui propose-t-elle une stimulation créatrice jusqu’alors inédite ? Est-ce un phénomène irrémédiable, qui touche à toutes les images ?

C’est au contact direct de la prose, donc dans le livre, que l’image a d’abord eu à se frotter à ses nouvelles expérimentation, dans l’illustration certes, et plus généralement dans la création d’« artefact artistique visuel[4] », voire plastique, qui dépasse ce que l’illustration suppose de réducteur et ce qu’elle induit d’asymétrie dans le rapport entre le régime du visuel et le régime du verbal. C’est particulièrement dans le livre d’artiste, né dans les années 1970, que l’image s’est réinventée - que l’on se réfère à la définition d’Anne Moeglin-Delcroix ou à celle de Serge Chamchinov (conception originale du livre, exemplaires uniques ou tirage limité, fabrication de la reliure comme si c’était aussi une œuvre plastique, etc.). Le livre d’artiste s’est à l’origine pensé comme un espace de radicalité : son émergence à l’écart de la norme (poétique et artistique), la licence et l’hybridité qui le caractérise sont autant de points communs qu’il partage avec le poème en prose. 

Comme Bernard Vouilloux qui souligne que « c’est en allant jusqu’au bout des possibilités que lui offre son médium que le poème peut rejoindre la peinture ou la musique, et inversement ; bref, c’est en tant que poème qu’il est comme le tableau[5] », ne peut-on envisager comme réciproque que, dans le livre, c’est en tant qu’image que l’image est comme la prose ? Que l’on songe par exemple à H de François Righi (1997), inspiré des Illuminations de Rimbaud, où la performativité du langage en jeu dans la prose est en acte dans le livre dont le principe esthétique se réalise dans la manipulation (apparition progressive de l’écrit à mesure que s’installe le dispositif plastique, tournement ou déploiement des pages, effets de transparence et d’opacité, etc.), ou aux expérimentations typographiques à la poudre de graphite de Giuseppe Caccavale pour rendre Armenia de Ossip Mandelstam. La question se pose dès lors de savoir si le renouvellement de l’image, stimulée au contact de la poésie en prose, est à l'œuvre uniquement dans le livre. Les installations artistiques, ou encore le domaine de la performance, si l’on songe à celle de l’artiste-marcheur Jean-Christophe Norman qui recouvre l’espace en écrivant à la craie Le petit traité de la marche en plaine de Gustave Roud, donne à penser un champ de recherche prometteur. 

L’objectif de cette journée d’études est l'approfondissement de cette réciprocité par laquelle, d'une part, le poème en prose s'élabore en intégrant à son propre système sémiotique et verbal les codes des arts visuels, et d'autre part, certaines pratiques artistiques de l’image, au contact des expérimentations poétiques de la modernité, connaissent une requalification à l'aune de la mise en prose et de la visualité du dire poétique. Dans cette optique, différents axes de recherches seront envisagés (cette liste est loin d’être exhaustive et reste ouverte à toute proposition originale) :

●       Désigner / Décrire : questions de méthode

L’étude du rapport texte-image a donné naissance à une terminologie fournie, entre harmonie et rivalité. Ces notions cherchent à mettre au jour le passage de l’un à l’autre (phénomènes de traduction, transposition, commutation, substitution, captation), leur opposition (phénomènes de confrontation ou de concurrence) ou leur égalité (phénomènes de complémentarité, de correspondance ou d’équivalence). Plus rares sont les considérations qui font état d’un rapport réciproque et positif, mettant en avant une rencontre créatrice et un dialogue fécond – on pense à la notion de « résonance esthétique » de Madoka Taniguchi. Le cas particulier du poème en prose dans ses rapports à l’image permet-il de repenser les conditions d’intelligibilité de cette relation ? Engage-t-il une nouvelle désignation, voire une nouvelle description de ce phénomène ? Dans ce cas, quelles méthodes peut-on envisager pour analyser ces objets singuliers entre mots et images ? 

●       Poétique visuelle

- Peut-on identifier des procédés hérités des modèles sémiotiques des arts de l’image et intégrés à l’écriture du poème en prose non encore mis au jour par la critique (dans les arts picturaux traditionnels, la photographie ou le cinéma) ? 

- Si le poème en prose est apparu comme la forme privilégiée pour élaborer une poésie visuelle, est-ce parce qu’il lui fallait trouver « un substitut pour les qualités musicales qui se dégagent normalement de la versification traditionnelle », comme le suggère Renée Riese Hubert, ou bien peut-on le reverser au compte d’une versatilité de la prose, apte à expérimenter des modes inédits de visualité verbale ?

- Le poème en prose, texte à lire, peut-il aussi s’identifier à un objet à voir ? Comment le poème en prose croise-t-il lisibilité textuelle et visibilité picturale ? Ce rapport entre lisibilité et visibilité est-il inhérent au poème en prose ou ne concerne-t-il que ses expérimentations originales de mise en page ? 

●       Esthétique verbale

- Tout comme la prose a subverti des « techniques a priori picturales[6] », comment les artefacts artistiques visuels réagissent-ils aux nouvelles procédures logico-verbales du poème en prose ? S’emparent-ils de ses structures sémantiques, ou de la destruction de celles-ci, afin de les réinvestir au service de leur propre logique plastique ? 

- On pourra étudier aussi l’investissement par la plastique de la syntaxe du poème, à l’instar du peintre et poète lettriste Roland Sabatier qui s’est attelé, dans sa « version plastique » des Illuminations (1987-1988), au dépassement de l’hypergraphie par sa destruction, en miroir de la destruction du vers par Rimbaud.

- Par ailleurs, une nouvelle configuration du regard s’établit dans la poésie en prose à l’aide de procédés d’énonciation, d’indices de visualisation (déictiques, démonstratifs, etc.), d’effet de surgissement du réel dans le discours, ou encore à travers des figures de styles. Ces éléments sémiotiques verbaux, redevables à l’image, se sont-ils (re)transformés en éléments sémiotiques purement plastiques ?

●       Des collaborations dans tous les sens

- Y a-t-il une spécificité des usages de prose dans les collaborations entre poètes et artistes plasticiens ? 

- Engagent-ils des pratiques picturales différentes de celles supposément appelées par le vers ? Y a-t-il différenciation ou indifférenciation du vers et de la prose dans les pratiques de l’illustration, du livre d’artiste, du livre-objet, du « livre pauvre » apparu au début du XXIe siècle, ou encore de l’installation artistique ou de la performance ?

- À l’inverse, ces usages de prose répondent-ils à des pratiques de l’image impliquant une sortie du vers ? On peut penser aux « proses parallèles » de Breton face à la série des Constellations de Mirò, par opposition aux vers des Mains libres d’Éluard, écrits pour illustrer les dessins de Man Ray. Le choix formel correspond-il à des exigences proprement picturales ou simplement aux habitudes des poètes ?

Calendrier et conditions de soumission
Les propositions de communication comprenant un résumé de 250 à 500 mots ainsi qu'une courte biobibliographie sont à envoyer avant le lundi 30 mai 2022 aux deux adresses suivantes : antonhureaux@gmail.com et zoe.monti.8@gmail.com
La journée d'étude se tiendra le jeudi 13 et le vendredi 14 octobre 2022, en salle Claude Simon, à la Maison de la Recherche de l’Université Sorbonne Nouvelle, 4 rue des Irlandais, 75005 Paris.

Comité scientifique
Corinne Bayle (ENS Lyon)
Bertrand Bourgeois (Université de Melbourne)
Serge Linarès (Sorbonne Nouvelle)
Henri Scepi (Sorbonne Nouvelle)
Émilie Sitzia (Université d'Amsterdam)
Hélène Védrine (Sorbonne Université)

Comité d’organisation
Anton Hureaux et Zoé Monti


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Bibliographie indicative

BAYLE Corinne, La poésie hors du cadre. Nerval, Baudelaire, Reverdy, Char : Poésie, prose et peinture, Paris, Hermann, 2014. 

BOURGEOIS Bertrand, Petits poèmes à voir  : de la bambochade textuelle aux pochades en prose (1842-1948), Paris, Hermann, « Savoir lettres », 2020. 

CAMPAIGNOLLE-CATEL Hélène, LESIEWICZ Sophie, THEVAL Gaëlle (dir.), Livre / Poésie : une histoire en pratique(s), Paris, Édition des Cendres, 2017.

CHAPON François, Le Peintre et le Livre. L’âge d’or du livre illustré en France. 1870-1970, suivi de Chagall entre Vollard et Tériade, Paris, Éditions des Cendres, 2018.

CHOL Isabelle, MATHIOS Bénédicte, LINARES Serge (dir.), Livres de poésie jeux d’espace, Paris, Honoré Champion, 2016.

CHAMCHINOV Serge, « Le Livre d’artiste : phénomène d’expérience plastique, poétique et typographique », dans MILAN Alain, PERELMAN Marc (dir.), L’Esthétique du livre, Nanterre, Presses universitaires de Paris-Nanterre, 2010, pp. 59-76.

CHRISTIN Anne-Marie, L’image écrite ou la déraison graphique, Paris, Flammarion, « Champs arts », 2009. 

HUBERT Renée Riese, « La technique de la peinture dans le poème en prose », dans Cahiers de l’association internationale des études françaises, n° 18, mars 1966, pp. 69-78.

LOUVEL Liliane, SCEPI Henri, Texte/image : Nouveaux problèmes, actes du colloque de Cerisy du 23 au 30 août 2003, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2005.

MOEGLIN-DELCROIX Anne, Sur le livre d’artiste. Articles et écrits de circonstance (1981-2005), Marseille, Le mot et le reste, « Formes », 2006.

ORTEL Philippe, « Poème en prose et photographie », dans La Littérature à l’ère de la photographie, enquête sur une révolution invisible, Nîmes, Éditions Jacqueline Chambon, 2002.

PEIGNOT Jérôme, Typoésie, Paris, Imprimerie Nationale, 1993.

PEYRÉ Yves, Peinture et poésie, Le dialogue par le livre, Paris, Gallimard, 2001.

SANDRAS Michel, “Le poème et prose et les arts graphiques”, dans Lire le poème en prose, Paris, France, Dunod, 1995, pp. 120-125.

SITZIA Émilie, Art in Literature, Literature in Art in 19th century France, Cambridge Scholars Publishing, Newcastle upon Tyne, 2012.

VÉDRINE Hélène, « Fabrique du livre et herméneutique : le rôle des images dans Minutes de Sable Mémorial (1894) et César-Antechrist (1895) d’Alfred Jarry », dans Textimage. Revue d’étude du dialogue texte-image, n° 13 « Genèse et génétique éditoriale des textes imagés », dir. Dominique Massonaud et Vanessa Obry [en ligne], printemps 2021.

VOUILLOUX Bernard, Tableaux d’auteurs. Après l’Ut pictura poesis, Vincennes, Presses universitaires de Vincennes, « Essais et savoirs », 2004.

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Notes
 
[1] Pour reprendre l’expression de l’article, fondateur de la question, de Renée Riese Hubert, « La technique de la peinture dans le poème en prose », dans Cahiers de l’association internationale des études françaises, n° 18, mars 1966, pp. 69-78.
[2] Bertrand Bourgeois, Petits poèmes à voir  : de la bambochade textuelle aux pochades en prose (1842-1948), Paris, Hermann, « Savoir lettres », 2020, p. 42. 
[3] Bernard Vouilloux, Le tournant « artiste » de la littérature française. Écrire avec la peinture au XIXe siècle, Paris, Hermann, 2011, p. 11. 
[4] Liliane Louvel et Henri Scepi (dir.), Texte/image : Nouveaux problèmes, actes du colloque de Cerisy du 23 au 30 août 2003, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2005 p. 11.
[5] Bertrand Bourgeois, op. cit., p. 13.
[6] Ibid., p. 42.

Quelle der Beschreibung: Information des Anbieters

Forschungsgebiete

Medientheorie, Literatur und Visual Studies/Bildwissenschaften, Literatur und Medienwissenschaften, Poetik, Lyrik allgemein, Ästhetik, Literatur des 19. Jahrhunderts, Literatur des 20. Jahrhunderts, Literatur des 21. Jahrhunderts

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Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3
Centre de Recherche sur les Poétiques du XIXe siècle (CRP19)

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Frankreich
Datum der Veröffentlichung: 07.03.2022
Letzte Änderung: 07.03.2022