CfP/CfA Veranstaltungen

Genre et sexualité dans l'oeuvre de Gustave Flaubert

Beginn
28.04.2021
Ende
30.04.2020
Deadline Abstract
01.06.2020

Genre et sexualité dans l’œuvre de Gustave Flaubert

Colloque du bicentenaire Flaubert à Rouen

28, 29 et 30 avril 2021

Université de Rouen

organisé par

Véronique Bui, Brigitte Diaz, Éléonore Reverzy et François Vanoosthuyse

avec le soutien du CEREdI

(Centre d’Études et de Recherche Éditer/Interpréter, EA 3229, Université de Rouen Normandie),

du GRIC

(Groupe de Recherche Identités et Cultures, EA 4314, Université Le Havre Normandie), 

du LASLAR

(Lettres, Arts du Spectacle, Langues Romanes, EA 4256, Université de Caen Normandie)

et du CRP 19

(Centre de Recherche sur les Poétiques du xixe siècle, EA 3423, Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3).

   

C’est un défi d’envisager en bloc l’œuvre de Flaubert avec la catégorie du genre. Comme chaque fiction se différencie radicalement des précédentes, il n’existe pas de type flaubertien, masculin ou féminin. De récit en récit, les populations de personnages, les corps, les désirs, les styles de vie, les intelligences, sont toujours renouvelés. L’œuvre mute et réinvestit chaque fois à nouveaux frais les choses de la vie et la réalité des rapports sociaux : on n’y trouve pas de scénario amoureux récurrent, pas d’érotique banale, pas de psychologie arrêtée, pas de répartition ordinaire des rôles entre personnages masculins et féminins. Ce qu’on repère quelquefois chez Stendhal, Sand, ou Balzac, comme une insistance à dire telle situation existentielle, tel désir fondamental, telle révolte, ne se rencontre pas non plus chez Flaubert. Du fait de ce défaut de constance, de certitude peut-être, et par conséquent d’évidence, dans la représentation des hommes et des femmes, persiste également, d’œuvre en œuvre, toujours dramatique, le problème de leurs rapports, aussi bien dans l’espace public que sur la scène privée. Le genre, chez Flaubert, semble perpétuellement déconstruit, et dans le même temps le sexe possède une mystérieuse puissance, une puissance de scandale aussi, qu’aucun discours ne relativise ni ne normalise jamais. C’est à cette richesse extraordinaire de l’œuvre de Flaubert qu’on voudrait rendre hommage dans ce colloque qu’occasionne le bicentenaire de sa naissance.

Cette extrême variété, qui fait vraisemblablement de Flaubert un cas unique au sein de la production littéraire française du xixe siècle, constitue en elle-même un sujet de méditation substantiel, mais elle peut se décliner en une série de problématiques particulières, qui concernent la sociologie du genre, mais aussi la psychanalyse, l’histoire des représentations et la poétique.

Voici quelques orientations possibles :

L’amour, le couple, le scénario amoureux

La variété des scénarios amoureux chez Flaubert est à mettre en rapport avec la variété des couples eux-mêmes, souvent au sein du même roman (L’Éducation sentimentale par exemple), avec la variété des positions sociales et du statut juridique de ces couples, et la diversité des comportements sexuels des personnages. On n’envisagera pas uniquement les fictions les plus traditionnellement organisées autour d’histoires d’amour hétérosexuelles : on songe aussi, par exemple, à cette invention spéciale que constitue la paire masculine du dernier roman.

Le fait que Flaubert passe un cap décisif, par rapport au romantisme, dans la représentation de la sexualité et de la vie sexuelle, est évidemment un enjeu de première importance. Flaubert produit, dans Madame Bovary, dans L’Éducation, dans Salammbô, une imagerie intéressante, explicite et audacieuse du sexe, qui est nouvelle et qui commence par faire scandale. Mais ce fait ne doit pas oblitérer la manière dont l’œuvre s’articule à la littérature des années 1820-1840 et en particulier au romantisme. Le couple, les partenaires du couple constituent chez Flaubert une ressource fondamentale du romanesque : au-delà des clichés critiques sur l’ironie flaubertienne, on peut se demander comment son œuvre, dans ses états successifs, quand elle raconte l’amour, représente les corps, thématise le masculin et le féminin dans l’amour, les érotise, se nourrit du romantisme.

Démographies romanesques

La capacité de l’œuvre flaubertienne considérée dans son ensemble à représenter différents types de réalités humaines (dans le temps et dans l’espace), oriente à la fois vers une « démographie » et vers une poétique. Les mondes flaubertiens sont d’abord constitués de populations, subdivisées en groupes, dans lesquelles en général se détache une figure masculine et/ou une figure féminine. Il semble clair que, si l’on retient le simple critère du sexe, ces populations de personnages sont toutes composées différemment. Quelle est la part des femmes dans ces différents univers ? Quelle est celle des hommes ? Quelle est la situation maritale des personnages ? Leur âge ? Croiser le critère du sexe avec d’autres serait intéressant pour établir une « démographie » des univers flaubertiens. Qu’apparaîtrait-il, si l’on comparait les « démographies » romanesques flaubertiennes entre elles ?

Cette « démographie » du roman pourrait également donner lieu à une approche poétique. La capacité des récits flaubertiens à représenter des populations, leur vocation sociologique (éventuelle, non systématique), leur intention en tout cas de mettre en scène la diversité du social, est nécessairement perçue et ordonnée selon un certain nombre de structures au moyen desquelles le romancier dispose ses personnages et représente leurs forces, leurs liens et leurs rapports. Ces structures (trouvailles scénaristiques, analogies, descriptions, scènes, dialogues, polylogues, etc.) sont à l’œuvre dans tous les récits flaubertiens, et peuvent être appréhendées selon le critère du genre. Même la solitude des ermites – saints aux carrières asociales et anomiques, cas particuliers, intéressants dans la perspective de ce colloque – est structurée par les visions, par les rencontres ou par les échanges verbaux et les contacts avec l’autre sexe.

L’univers de la famille

Flaubert ne prend pas simplement le risque, avec un personnage comme Emma par exemple, de déplacer les lignes, de redistribuer les valeurs, de modifier les équilibres entre masculin et féminin. Il le fait en investissant les structures sociales fondamentales que sont le mariage et la famille en régime patriarcal.  

L’étude des structures familiales que Flaubert décrit et scénarise pourrait donc entrer dans le cadre de ce colloque, avec ses récurrences (les enfants, qu’ils soient fille ou garçon, sont souvent des enfants uniques), et ses variations, dans la représentation du couple parental, de la parentalité elle-même, des relations entre parents et enfant. Par exemple Emma, Mme Arnoux, la mère de Julien, sont trois figures maternelles fort contrastées ; Charles, Hamilcar et Dambreuse sont trois pères foncièrement différents. Les personnages de nourrice pourraient aussi être étudiés dans cette optique.

Flaubert représente rarement la naissance de ses personnages, mais il évoque volontiers leur enfance, leur éducation, et il les fait fréquemment devenir mère ou père. En elle-même, la représentation des enfants – filles et garçons – est un sujet peu étudié chez Flaubert. Il semble également pertinent de souligner qu’en général les personnages flaubertiens s’inscrivent dans une lignée, et que se pose à eux la question de la loyauté et de la ressemblance aux ancêtres (la construction du masculin en particulier est appréhendée par ce biais, mais il n’est pas sans importance pour comprendre des personnages féminins aussi différents que Salammbô, Mme Arnoux ou Félicité, que de voir qu’ils se construisent dans une lignée).

Scénographies des genres

Il existe, chez Flaubert, différentes techniques et différents registres de la représentation du masculin et du féminin. Au haut voltage des grandes scènes de Salammbô, de la Tentation ou d’Hérodias (registre du grand érotisme et de la cruauté, registre ouvert sur le fantasme, qui typifie le masculin et le féminin dans des représentations superlatives, en prise sur les arts plastiques traditionnels et sur des archétypes de genre), on peut opposer le fonctionnement métonymique des descriptions d’appartements dans L’Éducation, avec, dans ce roman, un équilibre remarquable entre intérieurs féminins et intérieurs masculins. La mise en scène du masculin et du féminin est chez Flaubert articulée d’une manière plus ou moins directe selon les récits et selon les scènes à la suggestion du sexe. Les vêtements, les gestes, les attitudes, les sentiments, les monologues intérieurs, les postures dans l’échange et dans la confrontation, les voix : les récits flaubertiens sont riches d’une signalétique des genres, qui concerne la vie sociale comme l’intimité des personnages, et permet d’interroger le ressort de leurs différences.

Genre et interactions sociales

On peut donc énoncer ce postulat que toute fiction flaubertienne problématise, au moyen d’une poétique subtile, les notions ordinaires, clichées et convenables du masculin et du féminin, qu’elle témoigne d’une fine observation des comportements, et plus généralement des expressions de genre, qu’elle témoigne de la volonté d’analyser en profondeur les rapports de genre, en envisageant leur condition spirituelle (morale, religieuse, culturelle, esthétique) et leur cadre social.

Le fait que les identités de genre soient des constructions sociales est par exemple envisagé à travers la représentation de groupes. Ainsi, la vie de garçon de Frédéric Moreau s’éternise au sein d’un groupe d’hommes plus ou moins lâche, mais interdépendant, qui offre toute une palette de styles et de destins masculins (il ne semble pas que les sociabilités féminines bénéficient de la même attention chez Flaubert).

Sans doute est-ce que le fait qu’on puisse parler à propos de Madame Bovary ou de L’Éducation sentimentale d’un romanesque de l’ambiguïté et de l’opacité, permet de travailler avec les notions de masque, de rôle, de mimétisme, de performance. Mais l’appréhension des discours et des comportements genrés ne renvoie pas simplement chez Flaubert à la dimension de la « performance », de l’expression du genre, et à son cadre social. La littérature de Flaubert ne renonce jamais à l’idée d’une vérité des êtres. Toute la critique des discours, des poses, des postures, des rôles sociaux, se fait au contraire au nom d’une exigence de vérité, qui est l’envers de l’ironie, comme celle-ci perpétuellement relancée.

Avec un inlassable souci de connaître et de comprendre, l’auteur articule constamment rapports de genre et rapports de classe. Il est particulièrement attentif à la condition des filles et des épouses, de même qu’à la condition des prostituées et des domestiques. Il y a chez lui une analytique de la domination, à laquelle les femmes ont d’ailleurs une certaine part. Nourri de la science historique et de l’anthropologie de son temps, Flaubert croise également rapports de genre et rapports interculturels dans Salammbô ; tandis que le Voyage en Orient le situe lui-même dans cette problématique. Il investit par ailleurs les savoirs médicaux, psychologiques et psychiatriques de son temps (la fameuse « hystérie », par exemple). Il va de soi que l’ensemble de cet outillage, et ce que Flaubert en fait, méritent une attention critique, pour penser la manière dont il pense le genre.

Le genre « parlé »

On pourra se poser la question des modes genrés d’expression dans les romans de Flaubert. Le genre affecte-t-il les façons de parler des personnages ? Comment parle-t-on « en femme » et « en homme » chez Flaubert ? Mais aussi, qu’est-il dit à l’intérieur même des romans de ces variations genrées des paroles et des façons de s’exprimer ? Les paroles et les discours des personnages y sont-ils perçus, évalués de ce point de vue et par qui ? Certains romans produisent-ils une doxa à cet égard ? Si oui, comment, quel est son statut, que faut-il en penser ? Si non, est-ce une originalité de Flaubert ? C’est à une stylistique du genre qu’il faudra réfléchir, en relevant les variations des parlers au sein d’un même roman et d’un roman à l’autre, et en prenant en compte ce qui, dans les romans, relève du métadiscours.

Flaubert s’interroge sur ces enjeux, comme on le perçoit par exemple dans ce commentaire qu’il livre dans une lettre à Louise Colet du 2 août 1855 : « Je suis en train de faire exposer à Homais des théories gaillardes sur les femmes. J'ai peur que ça ne paraisse un peu trop “voulu”. » On pourra donc mobiliser la correspondance dans cette perspective, non seulement pour examiner le travail de Flaubert sous ce rapport, mais pour interroger la différence entre ce qui se joue dans les fictions et dans ses échanges avec ses correspondants, hommes et femmes.

Genre et réception

On pourra également se pencher sur la réception genrée des grands romans de Flaubert : si Baudelaire voyait en Emma « ce bizarre androgyne [qui] a gardé toutes les séductions d'une âme virile dans un charmant corps féminin », la réception contemporaine et à venir allait plutôt tendre à la sexualiser, voire à la sur-sexualiser, depuis le réquisitoire de Pinard jusqu’à certaines lectures féministes du roman. Frédéric Moreau sera, quant à lui, perçu au contraire comme un homme incomplet. Flaubert évoque lui-même fréquemment la réception genrée de ses romans, comme dans cette lettre, qui mériterait un commentaire : « La Bovary marche au-delà de mes espérances. Les femmes seulement me regardent comme “une horreur d'homme”. On trouve que je suis trop vrai. Voilà le fond de l’indignation. » (À Mme Roger des Genettes, novembre 1856). Le caractère fortement genré de la réception des romans flaubertiens, avec ses intuitions et ses insuffisances, peut être mis en rapport avec le fait que chez lui, comme dans d’autres univers romanesques antérieurs ou contemporains du sien, les rôles ne sont pas clairement identifiables, ni les fonctions qui leur sont traditionnellement associées toujours clairement assignables. Bouvard et Pécuchet, en ouvrant la voie aux romans célibataires de la fin du siècle, confirme que Flaubert opte tendanciellement pour des possibles narratifs alternatifs, qui, en remettant en cause les représentations ordinaires, provoquent des réactions extrêmes d’adhésion ou de répulsion.

L’auteur

S’il n’y a jamais de discours auctorial qui explicite un point de vue ou une théorie (sur le mariage, sur la maternité, sur le désir sexuel, sur « les hommes », sur « les femmes »), la correspondance, les témoignages des proches, les portraits de l’auteur, sont là pour nous rappeler que l’œuvre est nourrie d’une expérience (de garçon, de fils, de voyageur, d’esthète, d’amant, etc.), qu’il sera d’autant moins inutile de rappeler que ce colloque est conçu en hommage à l’auteur.

Comment appréhender, dans la perspective de ce questionnement, celui qui n’a pas écrit « Madame Bovary, c’est moi » – mais qui se disait tantôt « vieille femme hystérique » et tantôt amateur de « la phrase mâle » ? Flaubert, si habile à les déconstruire dans ses fictions, s’est toujours, depuis l’enfance, habitué aux archétypes genrés. Comment lire sa vie amoureuse, sa vie sexuelle ? Comment envisager avec la catégorie du genre ses correspondances les plus longues et les plus régulières (sa correspondance avec Sand par exemple, où semble se dessiner un au-delà du genre) ? Comment appréhender son rapport au patronyme, le fait qu’il signe généralement ses lettres, même en écrivant à sa mère, « Gustave Flaubert » (ou « Gve Flaubert ») ? « L’homme-plume », « l’ermite de Croisset », « l’idiot de la famille », le fils Flaubert, est suffisamment énigmatique pour justifier l’attention qu’on lui portera à l’occasion de ce colloque.

*

Les propositions de communication devront être envoyées, accompagnées d’un court CV, avant le 1er juin 2020 à Véronique Bui (veronique.bui@univ-lehavre.fr), Brigitte Diaz (brigitte.diazw@gmail.com), Éléonore Reverzy (eleonore.reverzy@sorbonne-nouvelle.fr) et François Vanoosthuyse (vanoosthuyse.f@gmail.com).

Quelle der Beschreibung: Information des Anbieters

Forschungsgebiete

Französische Literatur, Gender Studies/Queer Studies, Literatur des 19. Jahrhunderts
Gustave Flaubert ; Sexualität

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Université de Rouen (UR) / University of Rouen
Datum der Veröffentlichung: 09.12.2019
Letzte Änderung: 09.12.2019